Le sucre : le piège à saints innocents !

Danièle StarenkyjPar Danièle Starenkyj © 2008
La célèbre comédie musicale «Mary Poppins» le chante depuis 1964 aux oreilles enchantées des grands et des petits :
«C’est un morceau de sucre qui aide la médecine à couler…»
Cela fait des siècles que le sucre aide à couler des tas de choses qui

malheureusement, contrairement à ce que dit la chanson, ne nous ont pas rendu la vie plus belle.
Oh! combien d’autres goûts pernicieux n’a-t-il pas masqués!

Le goût nauséeux

Tout a commencé avec le goût nauséeux de l’esclavage, corollaire honteux du goût toujours plus prononcé pour le sucre des consommateurs européens insensibles.

Le Roi-Sucre, c’est ainsi que plusieurs chroniqueurs du temps le nomme, avait tous les droits et particulièrement celui d’arracher à des millions d’êtres humains assimilés à du «bois d’ébène», le libre arbitre, pour tous sans exception, de droit divin et inaliénable.

Les ressorts qui prévalent chez tous ceux qui s’adonnent à ce commerce sont le pragmatisme, la cruauté et le cynisme.

Après avoir acheté des esclaves, il faut se dépêcher de leur faire comprendre qu’ils n’ont plus le contrôle de leur vie et que dépossédés de la maîtrise du temps, ils ne comptent plus en tant qu’individus.

Dressés à une obéissance absolue, ils vivent alors dans la terreur de châtiments cruels et impitoyables : «L’esclave fugitif (…) aura les oreilles coupées et sera marqué de la fleur de lys sur une épaule; (…) s’il récidive (…) il aura le jarret coupé et sera marqué d’une fleur de lys sur l’autre épaule; et la troisième fois, il sera puni de mort.»

«C’est au prix du sang que vous avez du sucre en Europe», écrit Helveticus dans son livre De l’esprit qui sera brûlé par la Sorbonne en 1768…

L’esclavage sera définitivement aboli dans les Antilles françaises le 4 mars 1848. Mais pas le goût du sucre.

Le goût amer

Dès 1657, le sucre masque le goût amer du cacao. Cela lui a permis de transformer ce produit riche en substances psychostimulantes comme la théobromine, la caféine, la sérotonine et la phényléthylamine, en un «aliment» que l’on donne aux enfants que l’on veut gâter…

Le goût âpre

Le sucre masque le goût âpre du café, ce puissant anxiogène*, et à Paris en 1716, il y a déjà trois cents cafés où l’on sert le café bien sucré avec des sorbets et des glaces bien sucrées. À la veille de la Révolution, il y en aura tout près de deux mille…

* Anxiogène : qui suscite l’anxiété, l’angoisse.

Le goût âcre

Le sucre masque le goût âcre du tabac. En 1864, le tabac Burley fut le premier à être trempé dans un bain sucré puis Reynolds en 1891 eut l’idée de sucrer son tabac avec de la saccharine. Ce fut le secret du succès phénoménal des «Camel».

Depuis, on ajoute au tabac des produits sucrants : sucre, jus de pruneaux, sirop d’érable, miel mais aussi des saveurs : cacao, caroube et réglisse.

Les toxicologues affirment que l’ajout de sucres au tabac encourage le tabagisme car ceux-ci génèrent des acides qui neutralisent le goût violent et rude du tabac sur la gorge. Le goût sucré et l’odeur agréable de saveurs sucrées et caramélisées plaisent particulièrement aux fumeurs adolescents débutants. Par ailleurs, les sucres produisent de l’acétaldéhyde qui est addictogène et qui agit en synergie avec la nicotine. On déclare aujourd’hui qu’un ado peut devenir accro, surtout si c’est une fille, dès les premières bouffées.

Les sucres ajoutés augmentent aussi le taux de formaldéhyde, d’acétone, d’acroléine et de furfural-2 dans la fumée de tabac. Les toxicologues déclarent que les sucres dans le tabac augmentent de façon importante les effets dangereux pour la santé du tabagisme. Plus les produits sucrants dans le tabac sont élevés, plus la fumée primaire et secondaire est empoisonnée.

Le goût râpeux

Le sucre masque le goût râpeux de l’alcool.

En 1995, apparaissent pour la première fois en Angleterre, les sodas alcoolisés : mélanges subtils de sodas, le grand amour de jeunesse des adolescents, d’alcools forts et d’une bonne dose de sucre. En 1996, ils atteignent la Suède puis en 1999, la France.

Les sodas alcoolisés présentés sous forme de canettes ou de petites bouteilles, aux couleurs extravagantes, aux noms branchés et délirants, où la mention «alcool» est des plus discrètes, contiennent la même dose d’alcool qu’un ballon de vin rouge, qu’une bière ou qu’un «baby» de whisky.

Pourtant, masqué par un goût ultra sucré, l’alcool ne se sent pratiquement pas!

On en oublie que l’on boit de l’alcool et après une, deux et trois canettes, le taux d’alcoolémie grimpe avec les conséquences que l’on connaît : accidents de la route, comportements violents, rapports sexuels non protégés…

Des commentateurs disent que la cible inavouée des producteurs sont les 10 à 14 ans. Les jeunes plus particulièrement piégés par les sodas alcoolisés sont les filles : «Leur introduction dans le marché des jeunes a été très rapide et comptait pour environ la moitié de l’augmentation de la consommation d’alcool par les 15 -16 ans de 1996 à 1999, et pour les deux tiers de l’augmentation chez les filles».

À l’aube du XXIe siècle, le sucre a réussi la banalisation de l’alcool.

L’âge de la première cuite a été avancé. La soûlerie est devenue un sport de jeunes, particulièrement en Angleterre, où l’hospitalisation liée à une consommation de boissons alcoolisées a été multipliée par quatre chez les plus jeunes. «Le sucre et l’eau gazeuse que ces boissons contiennent attirent l’enfant et lui font absorber l’alcool plus facilement et plus vite. Comme elles sont absorbées rapidement, elles passent beaucoup plus vite dans le sang et produisent une sorte de «flash» qui est l’effet hypoglycémiant de l’alcool, l’effet que les jeunes recherchent dans la soûlerie.

Les friandises chocolatées et caféinées sucrées, les céréales sucrées, les boissons caféinées sucrées, le tabac sucré, l’alcool sucré… Aujourd’hui pas plus qu’hier, on n’attrape pas des mouches avec du vinaigre et notre monde de consommation continue à produire des conduites addictives de plus en plus jeune.

Le prix d’un trop gros succès

La mécanisation des cultures de canne et de betterave à sucre, la modernisation des techniques d’extraction, l’essor d’une puissance industrielle et financière liée au sucre ont amené la population occidentale au XXIe siècle à consommer plus de 70 kg de sucre par an et par personne. Pas directement, mais par le biais de l’industrie agroalimentaire qui absorbe la majeure partie du sucre produit dans le monde.

Le mal du sucre© est toujours d’actualité. La lutte contre le sucre continue à tourner autour :

– d’un ennemi déguisé : On lui donne de multiples noms mais vergeoise, cassonade, sucre candi, sucre glace, sucre complet intégral qui correspondent à différentes présentations du sucre, ont la même molécule chimique, le saccharose.

On parle d’édulcorants artificiels, aspartame, saccharine, cyclamate qui incitent à tricher avec soi-même car ces sucres très sucrants sans calories ne trompent pas le cerveau qui répond à leur présence en stockant les graisses et en donnant très faim.

Et on parle d’édulcorants naturels, malt d’orge, miel, sirop d’érable, fructose. On veut les considérer comme inoffensifs mais ils doivent être consommés avec une très grande modération;

– d’un ennemi caché : Tous les aliments et produits industriels peuvent en contenir et l’effort pour produire des aliments faibles en gras au cours des dernières décennies s’est soldé par la production d’aliments plus riches en sucre (question de goût) et donc très riches en calories.

– d’un ennemi publicisé avec une insistance harcelante auprès des enfants et des adolescents, une clientèle de choix qui, on le sait, restera fidèle à l’âge adulte.

Et la publicité est efficace!!! Nos enfants rondelets, grassouillets, bedonnants, énormes, – on les nomme déjà la génération XL et XXL – seront selon le Dr Philipp Thomas de Londres, «la première génération qui aura une espérance de vie plus courte que celle de ses parents».

Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), on compte 150 millions de diabétiques dans le monde dont plus de 80% souffrant d’un diabète gras (type II) lié à l’obésité et à une alimentation trop riche. Rappelons que le diabète à terme produit cécité et amputation.

Le Canada, la France parlent d’une crise du cancer, d’un drame national, d’un fléau. L’OMS publie ses chiffres officiels : en 2005 quelque 25 millions de personnes vivaient avec un cancer, 11 millions de personnes avaient reçu un diagnostic de cancer et 7 millions de personnes en étaient mortes. En 2020, l’OMS estime que 30 millions de personnes vivront avec un cancer, 10 millions en mourront chaque année et 16 millions en seront frappés annuellement.

Les seules véritables armes préventives que l’on a –elles peuvent réduire cette hécatombe de 60 à 80%- sont : un régime sain, équilibré, riche en fruits et en légumes, riche en céréales complètes, pauvre en sucres (moins de 10% des calories), pauvre en viandes rouges (moins de 10% des calories) et l’abstinence de tabac et d’alcool.

L’OMS en 2004 a tiré la sonnette d’alarme : L’alcool est égal au tabac dans son impact sur la santé car «boire ne serait-ce que de petites quantités d’alcool augmente grandement la chance de blessures mortelles et accroît les chances d’être atteint de maladies comme le cancer, les troubles neuropsychiatriques et la cirrhose du foie».

«Il n’existe pas un seuil de consommation d’alcool qui soit sans risque», a déclaré l’OMS en 2007.

Les boissons alcoolisées dans leur totalité ont été classifiées comme des substances cancérogènes pour les humains par le Centre international de recherche sur le cancer (IARC).
«Parmi les femmes, le cancer du sein représente 60% des cancers attribuables à l’alcool», ont déclaré en 2006 des chercheurs français.

Peut-on demeurer indifférent à l’augmentation de la consommation du tabac sucré et de l’alcool sucré chez les jeunes?

Le mal caché

Si l’on s’inquiète maintenant intensément et internationalement des ravages visibles du sucre, on ignore encore trop souvent la partie cachée de l’iceberg sucre : l’hypoglycémie. C’est ça, profondément, le mal du sucre©. Par ses effets délétères sur le cerveau, le sucre est étroitement apparenté à de nombreux troubles mentaux.

C’est à partir du XVIIIe siècle que, étrangement parallèle à celle du sucre, s’est écrite – et continue à s’écrire – en Occident, l’histoire de la folie…

Danièle Starenkyj © 2008

Références

1. Article 38, Le Code noir, mars 1685.
2. Slade J., The Tobacco Epidemic, Journal of Psychoactive Drugs, 21 (3), Jul – Sep 1989.
3. Dobson R., Tobacco Firms ‘Sweetening Cigarettes to Hook the Young’, Independant / UK, October 1, 2006.
4. Nicotine: des ados hypersensibles, Sciences et Avenir, Octobre 2002.

Pour en savoir plus :

– Danièle Starenkyj « LE MAL DU SUCRE : une histoire noire »

– Danièle Starenkyj « Le mal du sucre : ses répercussions sur le caractère, la personnalité, et le comportement« .

A lire absolument : « Le mal du sucre » Danièle starenkyj  Publications Orion. On peut l’acheter sur le site Sfb ou dans un magasin Bio et Diététique.