La filiation : toujours une question de coeur

Danièle StarenkyjDevenir parent– Une autre manière de voir la vie et s’y préparer
Danièle Starenkyj© 2015 www.publicationsorion.com
On peut tisser un enfant dans ses entrailles. Mais on peut aussi tisser un enfant dans son cœur.
Et il était un temps où, que l’enfant ait été adopté ou qu’il ait été conçu par ses parents, ils avaient l’un et l’autre le même statut, soit

tout simplement celui d’un enfant légitime jouissant sans aucune restriction des mêmes privilèges et responsabilités.
Aujourd’hui, la science parle de filiation par le sang (filiation biologique), et de filiation par le cœur. Et, sous la poussée d’une culture qui amoindrit l’authenticité de la filiation par le cœur, elle y voit une différence. L’accès facile aux tests de paternité ébranle la conviction qui autrefois affirmait que le père était celui qui se considérait comme tel, et qui élevait avec amour l’enfant d’un autre.

Notre époque privilégie la filiation par le sang – celle qui transmet son patrimoine génétique à l’enfant — à un tel point que certains couples sont prêts à se tourner vers des solutions extrêmes pour avoir « leur » enfant. On parle du « droit à l’enfant ». Il en découle que « l’incapacité à enfanter est subie comme une blessure narcissique, vécue comme un échec personnel ». C’est comme si l’enfant, « son » enfant était une valeur suprême indispensable à l’épanouissement de l’adulte procréateur.

La filiation par le cœur qui ne peut transmettre à l’enfant que les valeurs propres aux parents – mais pas leurs gènes — ne semble plus combler le besoin d’enfant d’une société éminemment individualiste et de plus en plus égocentrique.

Ce besoin outré laisse perplexe alors qu’il s’accompagne fréquemment d’un attachement fragile des parents à leur enfant, celui-ci étant rapidement chaque jour coupé – dans certains pays dès les premières semaines de sa vie — de leur présence pendant de longues, longues heures. Et cela au nom de l’épanouissement personnel du père et de la mère.

Certes, la filiation par le cœur – l’adoption – suppose toujours, au préalable, un détachement voulu ou forcé de la mère biologique envers son enfant, et un détachement involontaire de l’enfant envers sa mère. Ce détachement, selon un auteur, est « la blessure primitive » qui marque au fer rouge l’enfant adopté, et qui rendra un attachement ultérieur difficile, mais non impossible. L’amour parental désintéressé qui a pour motivation le bien de l’enfant, à force de persistance, de constance, de cohérence, et de temps, triomphe toujours de la défiance. Un jour – cela peut avoir pris des années — le miracle a lieu : l’enfant adopté par ses parents – souvent à première vue — les adopte finalement à son tour. Son attachement est alors puissant et sans retour.

Autant l’attachement est un miracle, autant le détachement est une tragédie. Un drame parfois sordide, parfois magnanime.

Je me rappelle cette vieille dame, connue dans mon enfance, qui s’appelait Trouvée. Elle était peintre, et un jour, alors que je m’intéressais à ce qu’elle faisait, elle me raconta pourquoi elle portait un tel nom. Aussi original qu’il paraisse, celui-ci ne l’était pas. Bébé trouvé sur les marches d’une église, elle avait été portée à l’Assistance publique où on lui avait donné un prénom, Alice, et un nom ,Trouvée. Il y avait plusieurs « Trouvé et Trouvée » dans cette institution, tous abandonnés sans aucun indice identitaire. Elle n’avait jamais été adoptée, mais mariée sur le tard, elle avait été ravie d’avoir finalement un vrai nom, celui de son époux.

Si certains auteurs parlent de la blessure causée par le détachement de l’enfant envers sa mère, d’autres parlent de la résilience, la puissance d’« une main tendue » qui rétablit l’attachement de l’enfant à un humain soucieux de lui donner la certitude d’être aimé.

Car l’humanité ne fleurit que lorsqu’elle est tirée de son abîme avec « des liens d’humanité et des cordages d’amour ».

Ainsi filiation par le sang ou filiation par le cœur, quelle différence y a-t-il ? Dans les deux cas, c’est l’amour de l’autre, plus fort que l’amour de soi, qui fait la différence pour déboucher tôt ou tard sur un attachement reconnaissant et heureux pour tous.

Danièle Starenkyj ©2015

Références bibliographiques :

1. Kahn Axel, Un type bien ne fait pas ça…, p. 135, NiL éditions, 2010.
2. de Newton Verrier Nancy, L’enfant adopté – Comprendre la blessure primitive, De Boeck, 2007.
3. Starenkyj Danièle, Réflexions pour une vie meilleure, Orion, 2015.