Les leçons du chêne

Plus que tout autre, le chêne a marqué de sa présence l’histoire de notre pays et de nos paysages. Utilisé depuis des siècles comme remède contre toute sorte de maladies, il inspire force, majesté et puissance vitale. Le chêne centenaire est le cœur de la forêt, un trait d’union entre le passé et le présent.

Nos amis les arbres

Le miracle de la vie s’accomplit tous les jours sous nos yeux. Mais savons nous l’apprécier ? Les vérités éternelles sont inscrites dans tous les phénomènes de la vie, mais il faut apprendre à les lire. Il n’est jamais trop tard pour commencer. Rassurez vous, à l’Ecole de la Nature, les classes ne sont pas surchargées, la source, la pierre, et l’arbre seront toujours disponibles pour vous accueillir. Depuis la nuit des temps, les hommes et les arbres ont su entretenir des rapports étroits. Pour un homme attentif, l’arbre est autre chose qu’un objet de décor ; c’est un être vivant qui témoigne d’un dialogue possible entre terre et ciel.

Trop souvent confondus, le chêne pédonculé et le chêne rouvre sont les principales espèces présentes en France. Avec leurs cousins, le chêne kermès (Quercus coccifera), le chêne pubescent (Quercus pubescens), le chêne liège (Quercus suber), le chêne vert (Quercus ilex)et le chêne chevelu (Quercus cerris) , ils couvrent environ 34% de la superficie forestière française.

Le chêne pédonculé (Quercus pedunculata) est une essence de pleine lumière sensible au couvert et à la concurrence. Il exige des sols riches, profonds et bien structurés, conditions réunies le plus souvent dans les fonds des vallons et les bas de versants. Très répandu, on le rencontre surtout dans le Centre et en Bretagne. Le chêne pédonculé se distingue du chêne rouvre par son gland muni d’un long pédoncule et par sa feuille sans pétiole et au limbe ondulé.

les chênes de France
chêne pédonculé et chêne sessile

Le chêne rouvre ou chêne sessile (Quercus sessiliflora ou Quercus petraea) est une essence de futaie qui s’accommode de terrains plus arides et plus secs. Plus montagnard et plus rustique, il est aussi mieux armé contre la concurrence, en particulier contre son éternel rival (le hêtre) car il peut se régénérer sous le couvert ce qui n’est pas le cas de Quercus pedunculata dont les jeunes plants aiment la lumière.

Mais saviez vous que la partie souterraine de ces arbres puissants représente un volume plus important que la partie aérienne ? Plus le tronc et les branches s’élèvent vers le ciel, plus les racines s’enfoncent profondément vers la terre. L’arbre ne pourrait pas produire de fruits s’il n’avait pas de racines. De même, notre vie intérieure doit être enracinée dans le quotidien pour que puisse s’exprimer notre potentiel créateur.

Nous devons une éternelle reconnaissance aux chênes. Les vaisseaux de Christophe Colomb, qui ont permis d’atteindre les Amériques, étaient en bois de chêne provenant des forêts espagnoles aujourd’hui détruites. Les chênes ont contribué à la construction d’autres vaisseaux : les cathédrales. Ils ont servi de bois de chauffe pour les fonderies et les verreries avant l’utilisation du charbon. Ils ont permis le développement du chemin de fer (traverses et wagons). L’ébéniste, le charpentier et le menuisier en sont des utilisateurs permanents. Que seraient nos vins ou nos alcools sans barils, fûts ou foudres de chêne ?

Les chênes et surtout le pubescent partagent avec le noisetier et le charme, le privilège d’héberger le mycélium de la truffe. Les gastronomes peuvent remercier le chêne pour ses glands : ils ont servi pendant longtemps à nourrir les porcs fournissant des jambons exquis bien loin de la chair insipide de nos porcs industriels.

Mais l’homme peut également remercier le chêne pour ses qualités de « médecin ». Comme le souligne Paul Vincent (Docteur Arbre : la santé dans la forêt) , « il est à la forêt ce que le chou est au potager ». Une observation attentive de cet arbre nous fournit de précieux renseignements. Il inspire à tous un sentiment de force et de vitalité. Sa croissance est lente, mesurée mais sûre. Cet arbre noueux exprime la lutte dynamique de la vie faite de transformations et d’adaptations incessantes .Son bois dur et lourd et son écorce épaisse traduisent un attachement intense pour le terrestre. Malgré sa puissance, il sait être humble, comme en témoigne une floraison discrète, sans exubérance de couleur ni de parfum. Le chêne n’est pas un égoïste, contrairement à l’asocial noyer qui aspire à la lumière et à la chaleur pour lui tout seul. Aucun autre arbre que le chêne n’héberge autant de vie animale et végétale.

L’écologie du chêne est admirable : entre les racines de l’arbre et le mycélium de plusieurs champignons dont la truffe, une association étroite peut s’établir pour donner naissance à une structure originale appelée mycorhize. Ses feuilles, ses bourgeons et ses fruits sont piqués par une myriade d’hyménoptères spécifiques qui y trouvent logis et garde manger. Plus de 200 sortes de guêpes appartenant surtout à la famille des Cynips élèvent leur progéniture dans des galles ou cécidies produites par le végétal .Tous ces insectes attirent de nombreux oiseaux dont le geai qui a la bonne habitude d’enterrer les glands qu’il transporte, favorisant ainsi la dispersion du chêne.

En prenant de l’âge, on prend du ventre c’est bien connu. Le chêne d’apparence robuste à l’extérieur devient souvent creux à l’intérieur, ce qui permet l’installation de nouveaux locataires tel que l’écureuil ou un essaim d’abeilles. Les animaux ne sont pas les seuls à tirer profit de la générosité du chêne. Citons deux plantes aux vertus médicinales :

Le polypode de chêne (Polypodium vulgare) est une petite fougère qui peut s’installer dans les frondaisons du vénérable chêne lorsque l’atmosphère est suffisamment humide comme en Bretagne. Son rhizome a un goût de réglisse (d’où son nom usuel de réglisse des bois) et possède des vertus cholagogues et légèrement laxatives.

Le gui du chêne ( Viscum album) est un hôte hémi parasite (Il utilise les ressources de la plante hôte en lui soutirant eau et sels minéraux, mais il possède de la chlorophylle et peut synthétiser ses propres sucres et ses protéines) qui semble défier les lois de la gravitation et des saisons puisqu’il fructifie en hiver . Plante sacrée des druides, les feuilles du gui sont utilisées pour leur vertu hypotensive tandis que ses fruits toxiques servent à élaborer des remèdes anti-cancéreux selon les directives de Rudolf Steiner, le père de l’anthroposophie.

Mais revenons au chêne lui-même et plus précisément à son écorce qui est un remède naturel remarquable. Astringent de premier ordre grâce à une richesse exceptionnelle en tanins , cette écorce fait merveille à chaque fois qu’il s’avère nécessaire de modérer des sécrétions , des écoulements trop abondants et des phénomènes inflammatoires. Lorsque l’on a compris comment s’effectue la croissance de cet arbre on ne doit pas s’étonner de ses propriétés. Là où les forces vitales tendent à s’emballer, le tanin les apaise.

Par voie orale, on utilisera l’écorce de chêne dans les leucorrhées, les dysenteries, les diarrhées, l’incontinence urinaire en décoction ou sous forme d’extraits alcooliques (TM, vins…). L’excès de tanins n’étant pas profitable à long terme (irritation des muqueuses) on préfère souvent utiliser les feuilles de moindre teneur.

En gemmothérapie les bourgeons de chêne (Quercus pedunculata) utilisés sous forme de macérât glycériné constitue un remède tonique pour le système neuroendocrinien. Ils sont recommandés dans les états de surmenage, d’épuisement ou de convalescence et peuvent être associés aux jeunes pousses de Séquoia au cours de l’andropause pour limiter la sénescence masculine.

En usage externe, on profitera de son action antiseptique et astringente dans les cas de leucorrhées, d’hémorroïdes, de fissures anales, de maladies de peau, d’engelures…sous forme de compresses, de bains de siège réalisés à partir d’une décoction faite avec 30 à 60 g d’écorce par litre d’eau.

Nous pouvons comprendre plus facilement , maintenant, pourquoi nos ancêtres voyaient dans cet arbre le lieu sacré où le ciel s’unit à la terre. Il est, comme le chantait Georges Brassens, mon alter ego. Il nous interroge sur notre capacité à aimer et à donner car tout se résume , comme le dit Goethe, à « recevoir et à donner ». L’arbre qui donne des fruits est la meilleure image du soleil sur la Terre. La joie profonde n’existe que lorsque l’on donne sans rien demander et sans rien attendre. Le gland porte en lui-même l’image du chêne tout entier, mais c’est la vie qui se charge de produire tronc, branches, feuilles et fruits. La vie porte en elle-même toutes les possibilités, il nous appartient seulement de lui donner la direction en portant notre attention sur l’essentiel au-delà de la peur et des illusions. Telle est la leçon d’immortalité du chêne.