Biomimétisme : des éponges qui fabriquent du verre au fond des océans

Un article de Gilles Corjon – Dans un précédent article : « biomimétisme ou comment compter sur l’intelligence du vivant », nous avons abordé de manière générale le concept du biomimétisme. Aller chercher l’inspiration dans la nature n’est, certes, pas une idée neuve mais l’urgence de rétablir des liens avec le monde naturel nous

pousse à revoir radicalement nos modes de pensée et nos modèles économiques destructeurs.

Dans une conférence que je vous invite à visionner, Idriss Aberkane résume en une phrase ce nouveau paradigme : « la nature est une bibliothèque, lisez la au lieu de la brûler ». Je vous propose aujourd’hui et dans de prochains articles de découvrir à travers plusieurs exemples comment la Nature inspiratrice de forme et de fonction peut nous aider à concevoir notre futur sur des bases nouvelles.

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Une éponge qui fabrique du verre

Les éponges ou spongiaires forment l’embranchement de base des métazoaires et comptent parmi les premiers animaux multicellulaires apparus sur Terre il y a plus de 600 millions d’années. Dans l’histoire de la biologie, les éponges ont longtemps été considérées comme un végétal mais ce sont des organismes dont l’organisation en colonies de cellules peu différenciées est très simple.

Les éponges ne possèdent pas d’appareil respiratoire, ni d’appareil génital ou d’appareil excréteur, leur système nerveux est très primitif …et pourtant, elles colonisent aussi bien les eaux marines que les eaux douces ou saumâtres et sont capables de se développer depuis les profondeurs les plus faibles jusqu’à plus de 5000m de fond sous tous les climats.

Les éponges se nourrissent en filtrant l’eau qui les traverse et récupèrent ainsi l’oxygène dissous et des particules nutritives constituées par des micro-organismes et des débris organiques. Sauf exceptions, les éponges sont des animaux sédentaires qui vivent sur un support de nature variée: roche, sédiment meuble, carapaces de crustacés ….Pour cela, les différents groupes d’éponges fabriquent un exosquelette généralement à base de calcaire, de chitine ou de silice. Certaines éponges fabriquent un matériau constitué de briques de silice de dimensions nanométriques appelées spicules qui peuvent se développer selon plusieurs axes.

Ainsi, l’éponge Monorhaphis chuni, découverte à la fin du XIXème siècle à plus de 1500 mètres de profondeur sur les fonds marins de l’Est de l’Afrique, fabrique une spicule de quelques millimètres de diamètre pouvant atteindre 3 mètres de longueur grâce à laquelle elle peut s’ancrer sur les fonds sableux. Cette fibre est constituée de couches de silice concentriques qui se déposent autour d’une trame protéique extrêmement fine. Cette structure possède de remarquables propriétés mécaniques assurant à la fois résistance et flexibilité hors du commun ainsi qu’une transparence bien supérieure à nos meilleures fibres optiques utilisées dans les télécommunications. Une autre caractéristique de cette espèce d’éponge : elle peut vivre jusqu’à plus de 11 000 ans ! cette longévité exceptionnelle confèrerait à ces éponges le statut « d’archives paléoclimatiques » selon certains chercheurs.

Une autre « éponge de verre » appelée corbeille de Vénus ou éponge à crevettes vit fixée sur les fonds marins entre 150 à plus de 5000 mètres de profondeur dans le Pacifique Sud , il s’agit d’Euplectella aspergillum, une merveille de la nature. Cette éponge fabrique également un squelette en fibres de verre dont l’architecture complexe repose sur l’enchevêtrement d’un treillis de fils de silice avec une précision nanométrique. Je vous rappelle que la synthèse du verre dans l’industrie nécessite des températures élevées pour s’attaquer à la structure de la silice minérale que l’on trouve dans le sable par exemple. Du coup, la fabrication du verre a un coût énergétique non négligeable.

Nous avons donc beaucoup à apprendre des éponges qui, avec un minimum de matière et à une température généralement comprise entre 0 à 30°C fabrique du verre qui possède une résistance mécanique très élevée tout en gardant une exceptionnelle flexibilité. Cette propriété pourra permettre aux ingénieurs et aux architectes de pouvoir construire des édifices et des structures extrêmement solides à partir de matériaux fragiles.

Les propriétés optiques des éponges de verre

Les spicules de verre de ces éponges ont des propriétés optiques exceptionnelles en terme de guidage et de transfert de la lumière. Des recherches ont démontré que la quasi perfection de la biosynthèse du verre à basse température ainsi que les dimensions nanométriques de l’agencement des couches de silice empilées permettent de réfléchir la lumière de façon exceptionnelle ….au fond des océans où la lumière du soleil peine à percer. En définitive, à ces profondeurs, ce n’est pas la lumière du soleil qui est capturée et diffusée par ces éponges mais celle d’organismes bioluminescents qui produisent leur propre lumière !

Comment expliquer que les éponges de verre sont souvent implantées aux mêmes endroits que des organismes producteurs de lumière ?

Cette faculté de guider et d’amplifier la lumière leur permettrait d’attirer efficacement des bactéries photosynthétiques et des algues qui constituent des ressources nutritives précieuses dans ces profondeurs marines.

Commensalisme et mutualisme

Si Euplectella aspergillum est appelée éponge crevette ou si au Japon, c’est un symbole de fidélité absolue, c’est parce que cette éponge vit en cohabitation étroite avec des crevettes qui se logent dans son exosquelette en forme de panier tressé.

Nous avons ici un exemple de symbiose par arrangement trophique : les crevettes bénéficient des ressources alimentaires de l’éponge mais en retour, l’éponge peut se nourrir des déjections de ses hôtes.

C’est le cas également de l’éponge antarctique ( Cinachyra antarctica) qui vit à 100 m de profondeur sous la banquise en symbiose avec des algues unicellulaires protégées dans ses cavités. Pendant le long hiver austral, la luminosité est insuffisante pour maintenir une photosynthèse efficace chez ces algues. Les spicules siliceux de l’éponge jouent alors le rôle de fibres optiques qui captent et concentrent la lumière jusqu’aux algues qui peuvent ainsi continuer à faire de la photosynthèse et produire des ressources nutritives indispensables au métabolisme de l’éponge.

Coopérer avec le vivant

L’exemple des éponges à spicules siliceuses nous a permis de découvrir une forme d’intelligence insoupçonnée pour des organismes aussi primitifs. Nous retrouvons les trois niveaux du biomimétisme évoqués dans notre précédent article :

  • s’inspirer des formes du vivant : l’architecture remarquable des éponges pourrait nous permettre de concevoir des structures résistantes et économes en énergie dans le domaine de la construction
  • élaborer de nouveaux procédés de fabrication industrielle: la synthèse du verre à basse température et les étonnantes propriétés optiques des fibres de verre des éponges pourraient révolutionner la transmission de l’information.
  • les interactions de matière et d’énergie fondées sur la coopération et le mutualisme permettent aux organismes vivants de s’autoréguler : de simples colonies d’éponges grâce à leurs symbiotes photosynthétiques dégagent trois fois plus de dioxygène qu’elles n’en consomment par respiration ….A méditer

Gilles Corjon
Docteur en pharmacie – Herboriste