Cancer et épigénétique

dstarenkyjDanièle Starenkyj©2013
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Le Dr É. Colmant, pionnière du traitement de l’obésité en relation avec les allergies et les intolérances alimentaires, aimait bien répéter que « quand on a raison 24 heures avant les autres, on passe pour avoir perdu la raison pendant 24 heures. »
Ce fut aussi l’expérience du Dr Moshe Szyf de l’Université McGill à Montréal, pionnier et chef de file mondial de l’épigénétique, alors qu’il affirmait…

que le cancer est, non pas une maladie génétique, mais une maladie épigénétique. On s’est opposé à lui pendant environ 15 ans… Mais aujourd’hui, le vent a tourné, et le Consortium international « épigénome humain » a pour devoir de séquencer l’épigénome humain.

Qu’est-ce l’épigénétique ?

Nous sommes au XXIe siècle. Alors que la génétique a dominé le XXe siècle pour le tremper dans une forme de fatalisme impuissant – « mon problème est génétique… en termes simples, je suis victime de mes gènes (de mon hérédité), et je ne peux pas y faire grand-chose », – l’épigénétique, cette nouvelle branche de la biologie qui étudie comment les facteurs environnementaux (alimentation, style de vie, climat émotionnel) influent sur l’expression des gènes, souffle sur tous un vent libérateur, prometteur et dynamique : elle proclame que nous ne sommes pas le pur produit de nos gènes.
L’épigénétique est une hérédité non codée dans l’ADN, capable de produire des modifications transmissibles, mais aussi réversibles, sous l’influence de l’environnement et à la suite de notre histoire individuelle. L’épigénétique c’est une réponse cellulaire à l’environnement, y compris l’environnement psychologique. En effet, on affirme aujourd’hui, preuves à l’appui, que l’environnement et l’expérience personnelle exercent une influence déterminante sur la santé mentale et physique, et qu’ils peuvent modifier le fonctionnement des gènes dont on a hérité. Nos gènes peuvent être contrôlés par les aliments que l’on consomme, leur qualité et leur quantité, l’air que l’on respire, sa qualité et sa quantité, les câlins que l’on reçoit, leur qualité et leur quantité, en fait tout ce qui vient de l’extérieur et pénètre dans notre esprit ou notre corps.
L’épigénétique étudie les conséquences biologiques des altérations cellulaires qui n’impliquent pas une modification de la séquence nucléotidique, contrairement aux mutations génétiques. Les mutations génétiques sont irréversibles. Les marques épigénétiques laissées par l’interaction entre l’environnement et la génétique sont temporaires et, répétons-le, réversibles. Elles n’altèrent pas le code génétique mais elles peuvent être transmises à au moins une génération successive. Ces changements peuvent entraîner un gain ou une perte des fonctions biologiques. Or, on a établi récemment qu’un grand nombre des changements ou marques épigénétiques sont reliés à la pathogenèse des maladies humaines, et actuellement on insiste particulièrement sur leur influence dans le diabète de type 2, les maladies coronariennes, et les cancers. Cependant, on veut surtout capitaliser sur le fait que les mécanismes épigénétiques sont des mécanismes clé, capables de contenir l’effet des mauvais gènes, et ainsi de renverser un large éventail de maladies humaines.
En fait, l’épigénétique nous renvoie à l’environnement d’un gène, ou comme le mentionnait Mina Bissell citée dans l’article précédent, à son microenvironnement. La carte du génome humain nous a permis d’établir que l’ADN de chacune de nos cellules contient de 20 000 à 30 000 gènes en double exemplaire (et non pas 150 000 comme on s’y attendait…) Mais, ces gènes dits codant ou parlant, et induisant la fabrication de certaines protéines, ne représentent que 30 à 35% de la molécule d’ADN. L’environnement des gènes est donc formé majoritairement par les 65 à 70% d’ADN que l’on s’est plu jusqu’à tout récemment à appeler ADN « poubelle » parce qu’on ne savait pas à quoi ils servaient… Aujourd’hui, on les nomme gènes «silencieux ». L’environnement des gènes est aussi constitué des protéines formant les chromosomes, de la cellule, du tissu, de l’organe, de l’individu et de l’ensemble des conditions de vie de l’individu, comme son alimentation, ses activités, ses émotions, son lieu de vie.
« Tout ce milieu au sens large, du plan moléculaire au plan écologique, est susceptible de modifier l’expression de nos gènes. Et l’épigénétique vise à comprendre les mécanismes à l’œuvre dans ce processus. »
Un de ces mécanismes est la méthylation de l’ADN, un mécanisme qui dépose un enduit chimique sur les gènes qui programment le fonctionnement des gènes, et les empêchent alors de fabriquer les protéines nécessaires à leur expression. Cet enduit chimique comprend des méthyles, petites molécules qui se greffent directement sur l’ADN. Par exemple, la méthylation de la cytosine, un des quatre éléments composant l’ADN, a pour effet de diminuer, et même d’entraver complètement, l’expression de cette partie de l’ADN. Cette partie-là devient en quelque sorte muette. Ainsi, des gènes suppresseurs de tumeurs ou impliqués dans la réparation de l’ADN peuvent être inhibés alors que des gènes normalement inactifs peuvent être réactivés et contribuer à la prolifération des cellules dans une tumeur.
Nos gènes codent les 100 000 protéines à la base de nos hormones, neurotransmetteurs, anticorps, enzymes, et qui gèrent nos émotions, notre mémoire, notre état général, et le fonctionnement de nos organes. La moindre anomalie présente sur nos gènes devient responsable d’anomalies dans la fabrication des protéines et peut ainsi induire de nombreux dysfonctionnements et maladies, dont les cancers, dans notre corps. Le Dr Moshe Szyf en est absolument certain : le cancer n’est pas seulement la fatale conséquence de « mauvais gènes ». Les humains sont des êtres complexes, et il est impossible de les isoler de leur environnement social, économique, et politique. L’épigénétique affirme et prouve que les gènes changent d’activité, marqués qu’ils sont par l’alimentation, les conditions climatiques (désastre naturel, famine), le stress (attentat, guerre, solitude), l’oubli chronique des lois de la vie (le manque de sommeil, la déshydratation, la sédentarité, l’absence d’ensoleillement, etc.). « Les cellules cancéreuses révèlent une coexistence paradoxale d’une perte globale de méthylation d’ADN et d’une hyperméthylation régionale. »
Un style de vie et alimentaire favorable épigénétiquement
Depuis quelques décennies, certains médecins avant-gardistes parlent de la réversibilité des maladies de civilisation, dont les maladies coronariennes et le diabète. Le Dr Dean Ornish vient d’établir la réversibilité du cancer de la prostate. Tous proposent à cette fin un style de vie et un régime alimentaire favorables à une saine épigénétique. Des mauvaises conditions de vie ont, à la longue, activé des gènes de maladies. Des changements du style de vie et du régime alimentaire peuvent, en un temps record, les faire taire. En fait, plus les changements seront radicaux, plus les résultats seront rapides et profonds.

Les grandes lignes d’un programme épigénétique anti-cancer sont :

1. Faire varier les concentrations de cofacteurs transportant les groupes méthyles permettant une méthylation efficace. Ces cofacteurs sont la vitamine B12 (méthylcobolamine), l’acide folique (vitamine B9), la vitamine B6 (pyridoxine).
2. Éviter et intervenir sur les xénobiotiques (pesticides, médicaments, alcool, tabac).
3. Contrer le stress oxydatif (agression de notre organisme par les radicaux libres).
4. Réduire les concentrations sanguines d’homocystéine, une substance pro-inflammatoire et entraînant une hypercoagulabilité sanguine. On retrouve des taux élevés d’homocystéine dans les maladies cardiovasculaires, la maladie d’Alzheimer, les troubles dépressifs, la schizophrénie, les cancers.
5. Favoriser le bon fonctionnement des membranes cellulaires grâce à un apport adéquat en phospholipides (noix, lin, colza, germe de blé, soja).
Si l’on veut être plus pratique et plus concret, on peut tout simplement affirmer que le meilleur style de vie anti-cancer est celui qui suit les huit lois de la santé, et que le meilleur régime alimentaire anti-cancer est le régime végétal.

Pourquoi ?

L’abaissement des taux d’homocystéine est obligatoire. Or ce taux élevé est le résultat d’une importante consommation de protéines animales, d’une carence en légumes et fruits riches en acide folique, d’une insuffisance en vitamine B6 et en vitamine B12. Selon des données récentes presque 50% des Américains, gros mangeurs de viandes et de produits laitiers, sont carencés en vitamine B12.
Fumer est une cause directe de l’élévation des taux d’homocystéine car fumer entraîne une carence en vitamine B12. Consommer de l’alcool sous n’importe quelle forme entraîne une carence en acide folique et donc élève les taux d’homocystéine. Le café, le sucre raffiné, les émotions négatives et le stress rongent les vitamines B et entretiennent un état inflammatoire propre aux maladies de civilisation.
La méthylation anti-cancer s’obtient par des réactions biochimiques à partir de donneurs de méthyle. Les indispensables donneurs de méthyle sont : les protéines riches en méthionine, la bétaïne, et les folates (acide folique, B12, B6), ceux-ci étant activés par la vitamine B2 et le zinc qui potentialisent les réactions biochimiques.
Pour optimiser le capital méthyle, les meilleures sources végétales de méthionine sont : la farine de soja, les arachides grillées, les lentilles, les haricots secs, les pistaches, les amandes.
Les meilleures sources végétales de bétaïne sont : les betteraves rouges, le brocoli, les épinards, les céréales entières.
Les meilleures sources végétales des vitamines B sont : les levures alimentaires, les graines de sésame, tournesol, courge, etc., les céréales entières, les noix, les légumineuses, les légumes verts, les fruits.
Tous ces aliments végétaux sont également de très bonnes sources de zinc.
Ainsi, brocoli, noix de Grenoble, huile d’olive, myrtilles, graines de lin, de citrouille, de courge, épinards, champignons, tomate, avocat, asperges, grenade, haricots, céréales complètes, etc., sont tous des aliments épigénétiquement favorables dans la prévention et le traitement des cancers. Le régime végétarien les connaît tous, et les utilise quotidiennement dans le cadre d’une vie sans tabac et sans alcool.
Cependant, n’oublions pas que nos émotions, nos traumatismes, nos souffrances morales et autres, les bouleversements sociaux, naturels et politiques, sont également de puissants marqueurs de notre épigénome. Et les antidotes à toutes ces douloureuses réalités humaines ne sont, certes, pas alimentaires…
Il reste que l’épigénétique est une nouvelle voie d’étude permettant une lutte éclairée contre le cancer. Je vous souhaite le bonheur du végétarisme !

Danièle Starenkyj© 2013
Ecrivain et conférencière sur la nutrition¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯

Références
1. Colmant É., Starenkyj D., Enfin mince, Orion, 2010.
2. Starenkyj D., La santé totale, Orion, 2009.
3. D’Alessio A., Szyf M., Epigenetic tête-à-tête: the bilateral relationship between chromatin modifications and DNA methylation, Biochemistry and Cell Biology 84 (4):463-476, 2006.
4. Ornish D., et coll., Changes in prostate gene expression in men undergoing an intensive nutrition and lifestyle intervention, Proceedings of the National Academy of Sciences 105 (24):8369-8374, 2008.
5. L’étude EPIC, Enquête prospective européenne sur le cancer et la nutrition.
6. Starenkyj D., Le bonheur du végétarisme – principes de vie et recettes, Orion, 2008.