Faut-il liquider les parcs nationaux ?

 L’actualité récente des parcs nationaux français oblige le citoyen soucieux de l’intérêt général à réfléchir et à participer au débat.
Le précédent gouvernement a fait voter la loi du 14 avril 2006 réformant les parcs nationaux français dont l’esprit était, selon Roselyne Bachelot, la ministre de l’écologie de l’époque, de permettre aux élus des communes situées en zones périphériques du cœur des parcs nationaux de mieux intégrer les principes du développement durable. Noble intention mais véritable piège pour les protecteurs de la nature.

En effet il s’avère risqué, voire impossible, de faire admettre à un élu local, sous pression de ses électeurs qu’il a une responsabilité nationale et supra nationale de protection de la biodiversité et des paysages quand il dirige une commune d’un parc national. Il suffit, pour s’en convaincre, de suivre ces quelques exemples qui démontrent que le ministère de l’écologie et le précédent gouvernement ont mal préparé cette réforme et sous-estimé ses conséquences.

Le premier parc national français en crise :

Début octobre les élus locaux des communes du parc national de la Vanoise ont refusé le projet de charte pour la zone périphérique du parc. Hervé Gaymard, le président du Conseil général de Savoie, a même demandé l’arrêt de la procédure de concertation ce qui a fait dire à la presse et aux associations telles que Mountain wilderness que les élus du parc national préfèrent l’or blanc des stations de ski aux richesses naturelles du massif. Sinistre cadeau pour le premier parc national français qui devrait fêter ses 50 ans d’existence en 2013 ! Heureusement  Yves Paccalet et Claude Comet deux conseillers régionaux d’Europe écologie ont lancé une pétition nationale qui a déjà obtenu plus de 12 000 signatures (www.avaaz.org/fr/petition/appel)

Le développement durable des Cévennes remis en cause :

Plus grave est la situation du parc national des Cévennes. En effet la dernière charte adoptée le 21 juin 2012 pour ce parc tend à démontrer que les ambitions de l’état en matière de protection de la biodiversité et de développement durable ont cédé face aux exigences des élus locaux : ainsi il est dorénavant permis de cueillir les fleurs à l’exception de celles qui sont protégées à l’échelle nationale, de chasser même au cœur du parc et de circuler en dehors des routes si on est résident. Malgré la suppression de certaines mesures de protection inhérentes à un parc national, le conseil d’administration  a décidé le 18 octobre dernier,  par 28 voix sur 33, de demander l’exclusion du loup sur le territoire du parc et d’autoriser le tir du prédateur même en zone centrale. Le président du Conseil d’administration Mr Jean de Lescure, qui est également vice président du Conseil général de Lozère, ajoute qu’il faut « réguler les vautours » dont la réintroduction a  pourtant été un succès dans les Cévennes et un exemple pour le retour des rapaces nécrophages pour toute l’Europe. On touche là le fonds et une vraie question : faut-il liquider les parcs nationaux  parce qu’ils gênent les intérêts d’une minorité d’habitants ?

A qui appartient un parc national ?

Nous devons apporter une réponse argumentée et rigoureuse devant un tel choix de société.

Quoiqu’ils en pensent, un parc national n’appartient pas à ses habitants, aussi sympathiques soient –ils. Il appartient à tous les français qui payent avec leurs impôts, par exemple, 8 millions d’euros chaque année pour le parc des Cévennes. Il appartient également à tous les citoyens européens. En effet l’Europe  distribue  chaque année 5 millions d’euros aux agriculteurs du parc au titre des espaces du parc classés Natura 2000.En échange de cette solidarité normale envers une économie rurale en difficulté tous les européens sont en droit de demander le respect des engagements écrits adoptés par  les élus du Parc et des textes de loi en vigueur. La charte du parc national des Cévennes  écrit : « Depuis plusieurs années la présence sporadique mais avérée du loup annonce un retour probable spontané des grands prédateurs (loup et lynx) au cours des prochaines années. Ce retour est un indicateur de qualité des écosystèmes…Ces espèces qui présentent une forte valeur patrimoniale, font l’objet de toutes les attentions »

Ainsi moins de 6 mois après son adoption cette charte du Parc est bafouée par un conseil d’administration aux mains des élus locaux sans que le conseil scientifique du parc ne soit saisi. Celui-ci  donnera, en urgence, 5 jours plus tard, un avis argumenté et constructif désavouant à mots couverts la position radicale et démagogique du parc.

Ces oppositions excessives de collectivités locales en période de crise économique nous font craindre le pire.  Allons-nous sacrifier ce qui nous reste de nature et de biodiversité en considérant que leur protection n’est admissible qu’en période de croissance économique ?

Ce serait une politique à courte vue, prolongeant et aggravant  celle qui nous conduit aujourd’hui dans l’impasse. Pour notre part nous affirmons que la crise actuelle n’est pas seulement une crise bancaire ou un accident momentané de l’économie. Allons-nous poursuivre la politique des stations de ski alors que le changement climatique réduit l’enneigement ? Allons nous poursuivre le productivisme agricole qui pollue et menace les emplois et la santé des consommateurs ?

Les parcs nationaux restaient  des espaces naturels mieux préservés des impacts humains. Faut-il les abandonner ou, au contraire,  tenter d’y mettre en place des solutions innovantes, expérimentant un mode de vie plus sain, plus propre et  plus durable ?

Le loup, bouc émissaire :

L’exemple du loup est révélateur du sentiment anti nature qui commence à se répandre dès que celle-ci fait le moindre obstacle au développement économique effréné.

L’accroissement régulier des populations des ongulés du parc (Cerf, chevreuil, sanglier, mouflon) génère des centaines de milliers d’euros de dégâts sur la forêt et l’agriculture (300.887,40€ pour le département du Gard en 2011) et les chasseurs n’arrivent pas à réaliser les attributions des plans de chasse, même en zone centrale du parc (70% pour les biches et 73% pour le chevreuil en 2009). On ne peut pas se plaindre des dégâts et en même temps demander l’éradication d’un prédateur efficace.

En période de crise il ne faut pas oublier l’impact économique et touristique du loup sur un territoire. Dans le parc de Yellowstone aux USA l’université du Montana a mené une étude durant 5 années pour tenter de mesurer l’intérêt économique du loup. Celui-ci occasionne chaque année 46 000€ de dégâts sur le bétail en périphérie mais rapporte 27 millions d’euros.

Il convient ici de rappeler que 8,5 millions de visiteurs fréquentent les parcs nationaux français chaque année.

Quant aux vautours des Cévennes, une étude menée en 1995 a montré qu’ils ont rapporté 4,4 millions de francs pour l’activité touristique. En 2010 ils ont permis d’économiser 430 000€ de frais d’équarrissage en France.

Ces deux exemples démontrent que la protection de la biodiversité doit participer au développement durable et à l’avènement d’une autre société.

En conclusion il n’est pas admissible que les habitants des parcs nationaux et les élus qui les représentent, profitent des retombées économiques du tourisme et des financements de l’état en s’exonérant des obligations légales envers les textes français et européens. Il n’est pas non plus  admissible qu’ils soient majoritaires dans les conseils d’administrations d’un établissement public d’intérêt national et qu’ils oublient la vocation première d’un parc national : protéger la biodiversité pour l’humanité.

Aussi nous demandons à la ministre de l’écologie et au gouvernement de reformer la loi du 14 avril 2006 et si les élus locaux persistent dans leur attitude, de fermer les parcs nationaux qui ne répondent plus aux exigences de protection de la biodiversité et du développement durable. Cela nous peinerait beaucoup mais cela serait beaucoup plus clair pour tous.

JF Noblet

Journaliste et naturaliste

www.ecologienoblet.free.fr