L’industrie semencière gagne son procès contre Kokopelli

Kokopelli, l’association qui distribue 1500 semences anciennes ou rares dans le but de faire vivre la biodiversité agricole, vient de perdre le procès que lui avait intenté le semencier Baumaux pour « concurrence déloyale ». Motif : les semences doivent être enregistrées auprès d’un registre officiel pour être utilisées. Une procédure longue et coûteuse que Kokopelli a décidé de braver et qui est devenue l’objet d’un combat de l’association contre l’industrie semencière. (article publié sur le site Novethic le 19 07 2012)

En 2005, devant le tribunal de grande instance de Nancy, la Société Graines Baumaux, un semencier français, attaque l’association Kokopelli pour concurrence déloyale. L’association distribue environ 1 500 semences potagères issues de variétés anciennes, paysannes ou rares afin de faire vivre la biodiversité agricole. Mais faute d’enregistrement de chacune de ces variétés au catalogue officiel des semences potagères – au terme d’une procédure longue et coûteuse-, la réglementation européenne en interdit la commercialisation.
L’association a décidé de braver la loi et accuse l’industrie semencière d’avoir organisé ce cadre réglementaire pour limiter le choix des agriculteurs aux semences hybrides, hyper productives et formatées. Lorsque la société les Graines Baumaux dépose plainte, Kokopelli est déjà poursuivi par l’Etat français pour non respect de la législation sur l’enregistrement des semences. La France est le premier producteur européen de semences sur un marché qui pèse 2,7 milliards d’euros.

Condamnée en novembre 2007 à 10 000 euros d’amende, l’association fait appel et saisit également de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) afin de vérifier la légalité de la réglementation sur la commercialisation des semences au regard de la Charte des droits fondamentaux de l’Union. Le 19 janvier dernier, l’avocate générale de la Cour donnait raison à Kokopelli en estimant que le droit européen était responsable de la perte de biodiversité. Par ailleurs elle soulignait que « la diversité biologique ou biodiversité est en nette régression dans l’agriculture. (…) Quelques variétés dominent en revanche dans les champs (…) Dès à présent, le choix du consommateur final est déjà restreint en ce qui concerne les produits agricoles ». Et concluait à l’invalidité de la disposition qui prévoit « l’interdiction de commercialiser des semences d’une variété dont il n’est pas établi qu’elle est distincte, stable et suffisamment homogène (…) en ce qu’elle viole le principe de proportionnalité, la liberté d’entreprise (…) la libre circulation des marchandises (…) ainsi que le principe d’égalité de traitement ».

Jugement défavorable

Pourtant, alors que l’on pouvait s’attendre, a priori, à ce que la Cour dans sa décision finale suive ses conclusions, c’est l’inverse qui s’est produit 7 mois plus tard…. Le 13 juillet, la Cour a estimé qu’aucune des directives incriminées ne pouvait être invalidée. Elle justifie également sa décision par l’objectif « d’assurer une productivité agricole accrue », impliquant que « les semences commercialisées dans le marché intérieur doivent fournir les garanties nécessaires pour une utilisation optimale des ressources agricoles ». L’enregistrement au régime officiel des semences permet, selon son jugement, « l’utilisation de semences appropriées et, par conséquent, une productivité accrue de l’agriculture, fondée sur la fiabilité des caractéristiques des dites semences ». Pour Kokopelli, « la biodiversité peut donc être valablement sacrifiée sur l’autel de la productivité ». L’association dénonce l’argument selon lequel l’enregistrement permet d’éviter « la mise en terre de semences potentiellement nuisibles », alors que « l’inscription au Catalogue ne vise pas à protéger les consommateurs contre un quelconque risque sanitaire ou environnemental, auquel la législation ne fait même pas référence ».

La question générale des brevets sur les plantes

Cette décision intervient dans un contexte particulier, puisque la Commission européenne prépare la réforme de la réglementation sur les semences et donc la question des brevets déposés sur les semences (voir article lié). En augmentation constante (2000 aujourd’hui) ces brevets sont déposés par les géants industriels sur des caractères agronomiques des plantes. C’est ainsi que Monsanto, spécialisé dans les espèces les plus cultivées de maïs, de soja, de coton et de tomate, détient à lui seul plus d’un quart du marché mondial des semences. Un marché qu’il partage avec Syngenta, le groupe suisse ayant lui aussi racheté de nombreuses entreprises actives dans la sélection et la production de légumes. Cette concentration a fait l’objet d’une étude publiée en Suisse le 4 juin dernier commanditée par la Déclaration de Berne (DB), Swissaid et des associations suisses de consommateurs. Elle révèle que le marché européen des semences potagères appartient à quelques firmes: parmi les 231 variétés de tomates protégées dans l’Union européenne, 36% sont la propriété de Monsanto et 26% appartiennent à Syngenta. Idem pour les poivrons, tandis que Monsanto détient 50% du chou-fleur et Syngenta près d’un quart de la centaine de variétés protégées. Une information que le consommateur ignore, soulignent les ONG.

Réforme en cours

La coalition « No patent on seeds » (pas de brevets sur les semences), qui lutte contre la toute puissance des brevets sur les plantes, a été –partiellement- entendue par le Parlement européen. Le 10 mai, il a en effet adopté une résolution dont l’objectif est de réduire le nombre de brevets accordés sur les semences. Les ONG ne sont d’ailleurs pas seules à demander une réforme de ces brevets. Les sélectionneurs pâtissent en effet de la domination des grands groupes. Le Parlement européen propose donc d’autoriser tout sélectionneur à employer librement une variété protégée pour en créer une autre. Une exemption qui permettrait à ces entreprises petites et moyennes de se soustraire à la domination des grands groupes. Domination qui contribue à « une augmentation des prix pour les agriculteurs, à une réduction du choix des consommateurs et à un impact négatif sur l’agro-biodiversité », explique la coalition « No patent on seeds » dans la lettre ouverte envoyée à la Commission et au Parlement européens.

Véronique Smée
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