Usines à haut risque : la question de la sécurité à nouveau posée

139125_MFL’usine Lubrizol de Rouen, d’où s’échappent depuis le 22 janvier des émanations de gaz, est un site « Seveso seuil haut », qui définit les installations à haut risque industriel. La ministre de l’Ecologie Delphine Batho, qui a annoncé mardi soir l’ouverture d’une enquête administrative, a estimé qu’il y avait « sans doute eu une négligence ou une faute » à l’origine de cet accident qui pose à nouveau la question de la sécurité dans ces usines. (Publié le 23 01 2013 sur Novethic.fr)…

La neutralisation du gaz nauséabond qui s’échappe depuis lundi de l’usine chimique Lubrizol de Rouen «va prendre un certain temps», a déclaré mercredi 23 janvier la ministre de l’Ecologie Delphine Batho). «A l’heure où je vous parle, 900 kilos de ce mélange instable ont été traités sur 36 tonnes», a-t-elle indiqué sur Europe 1 mercerdi matin, «ce qui veut dire que cela va prendre maintenant un certain temps» pour achever les travaux. La ministre, qui a annoncé mardi soir l’ouverture d’une enquête administrative, a estimé qu’il y avait «sans doute eu une négligence ou une faute qui a entraîné cette réaction chimique», sans affirmer qu’il s’agissait d’ «une erreur humaine ou faute technologique».
L’association Robin des Bois rappelle qu’un accident mortel avait eu lieu dans une usine du groupe Lubrizol en 1970, provoquant la mort de trois cheminots à la suite d’une fuite de mercaptan à Morcenx (Landes). « Une autre fuite analogue a provoqué le 1er décembre 1970 l’évacuation d’urgence d’une partie du village de Lamothe dans les Landes et l’arrêt pendant plusieurs heures du trafic ferroviaire. Depuis ces évènements, le mercaptan est ciblé par la protection civile et les autres instances comme une molécule particulièrement dangereuse, appelant le renforcement des modalités de transport et d’intervention en cas de fuite ou de dégagement » explique Robin des Bois.
Par ailleurs en 2009, le site Lubrizol d’Oudalle (76) a subi deux dégagements incontrôlés de mercaptan obligeant à l’évacuation des entreprises voisines et à l’hospitalisation brève de quelques salariés. « L’incapacité de Lubrizol à stopper les dégagements et à empêcher les émanations hors du périmètre de l’usine montre que ce site ancien rattrapé par l’urbanisation, cerné par d’autres entreprises industrielles et des axes routiers très fréquentés ne répond aux objectifs de maîtrise des risques de la directive Seveso », souligne l’association.
Ces incidents dans des sites Seveso à haut risque viennent s’ajouter à d’autres, dont certains ont été mortels : AZF (30 morts en 2001), mais plus récemment également, en avril 2010, une explosion dans une usine du groupe Carbone-Lorraine à Gennevilliers (Hauts-de-Seine) avait fait un mort et 12 blessés. Puis, en 2011, l’explosion dans une usine du site industriel de Lavera, classée Seveso, avait causé la mort d’un employé et blessé un deuxième. Une série d’incidents sur ce complexe pétrochimique avaient fait deux brûlés notamment et nécessité un arrêt de la plate-forme, entraînant une polémique sur la sécurité de l’ensemble des installations industrielles de la zone. L’accident portait à au moins 12 le nombre d’explosions survenues dans ces usines en en 4 ans.
Manque de moyens pour appliquer la loi
L’usine Lubrizol de Rouen repose donc la question de la sécurisation des sites les plus dangereux. « Insuffisante » selon France Nature Environnement qui dénonçait le recul du gouvernement dans la protection des riverains des sites Seveso, lors du vote de la loi de finances 2011. Une loi ambitieuse avait été adoptée en juillet 2003 pour prévenir les risques industriels, protéger les employés et les riverains, mais elle peine à s’appliquer, faute de moyens, et son bilan est en demi-teinte. (Voir La loi sur les risques industriels peine à s’appliquer)

Elle aura certes permis de réduire d’environ 350 km² la superficie des zones exposées au risque et d’augmenter de 40 % les effectifs de l’inspection des installations Seveso haut risque (1 500 contrôles en 2010). Pour autant, cela équivaut à un contrôle par an en moyenne pour les sites de seuil haut alors qu’en 2010, 914 incidents et accidents ont été répertoriés en France, soit près de 3 évènements par jour.
France Nature Environnement, qui participait avec d’autres associations à l’instance nationale de suivi des Plans de Prévention des Risques Technologiques (PPRT) instaurés par la loi, avait quitté cet organisme en 2011 pour dénoncer le recul du gouvernement en matière de protection des riverains des sites Seveso.
De fait, les PPRT sont estimés au nombre de 409 dans l’Hexagone et concernent 9 000 communes . Or, ils auraient dû débuter en 2008… Trois ans plus tard, au 1er juillet 2011, seuls 25% étaient approuvés. En juillet 2012, 43 % ont été approuvés (soit 174 PPRT dits « élaborés ») ; 54 % sont en cours d’élaboration.
En 2012, la France comptait 1097 établissements Seveso, dont plus de la moitié est classée « Seveso seuil haut », c’est-à-dire à haut risque en cas d’accident. Seuls 3 départements n’ont pas de site Seveso : la Lozère, les Hautes-Alpes et Paris. Avec 56 sites, la Seine-Maritime (où se situe l’usine Lubrizol de Rouen) détient le nombre le plus élevé d’implantations.

Réglementation renforcée en 2015

Au plan européen, le projet de Directive Seveso 3 doit réformer la réglementation de ces sites pour 2015, en incluant des normes plus strictes en matière d’inspection et de sécurité des installations et en renforçant l’obligation d’information du public, afin d’être conforme à la Convention d’Aarhus sur l’accès à l’information en matière d’environnement. L’article 7 de cette nouvelle version stipule par ailleurs que « tous les établissements doivent disposer d’une politique de prévention des accidents majeurs proportionnée aux dangers ». Les exploitants devront désormais transmettre aux autorités leur politique de prévention des accidents majeurs, qui sera mise à jour « au moins tous les cinq ans ». Les informations devront également porter sur les établissements voisins, afin d’éviter l’effet domino. Pour limiter cet effet, les autorités compétentes devront de leur côté recenser « les établissements dont la proximité est telle qu’elle accroît les conséquences d’un accident majeur », le but étant de garantir « l’échange d’informations entre les exploitants et les établissements voisins, y compris ceux qui ne relèvent pas de la directive ». Les établissements les plus « à risques» devront planifier les situations d’urgence, et consulter le public sur ces plans d’urgence selon les principes de la convention d’Aarhus. L’article 22 permet également au public et aux ONG de porter plainte si l’obligation d’information n’est pas respectée par l’entreprise.

Véronique Smée
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