Gluten or not gluten

gluten coupable ou non coupableGilles Corjon – Coupable ou non coupable? Selon certains auteurs, jusqu’à une personne sur trois aurait sans le savoir une sensibilité au gluten. Faut il pour autant le désigner comme le seul responsable d’un cortège de symptômes aussi variés que les troubles de la digestion, la fatigue chronique, les maux de tête ou certaines douleurs articulaires? Pas facile de s’y retrouver sachant que ,la plupart du temps, allergie, intolérance et hypersensibilité au gluten sont confondues…

Pour faire suite aux excellents articles de Roland Reymondier et de Danièle Starenkyj parus précédemment, voici en résumé les éléments clés de compréhension et quelques pistes de réflexion qui nous permettront de se faire une opinion sur ce sujet très controversé. Nous avons appris qu’en matière de nutrition ,il n’existe pas de vérité absolue et que pour échapper aux dogmes et aux allégations , il est essentiel de poser correctement les problèmes .

Le gluten, c’est quoi?

Dans l’endosperme de toutes les céréales on trouve des protéines que l’on peut classer en deux familles distinctes:

les protéines solubles cytoplasmiques : albumine et globuline représentent 15 à 20% de l’ensemble des protéines et jouent un rôle essentiel dans l’activité enzymatique

les protéines de réserve insolubles représentent 80 à 85 %de toutes les protéines . Elles constituent ce que nous appelons le gluten qui se divise lui même en deux groupes: les prolamines et les gluténines. C’est le gluten qui confère sa résistance et son élasticité à la pâte à pain. Les résultats des recherches conduites sur les allergies suggèrent que ce sont principalement les protéines de la famille des prolamines qui posent problème et peuvent même se révéler toxique chez les personnes atteintes de maladie cœliaque. Les prolamines du blé et de ses variétés ( kamut, épeautre) se nomment les gliadines, mais on trouve aussi la sécaline ( seigle), l’hordénine (orge) et l’avénine (avoine). Contrairement à ce que l’on affirme souvent, toutes les vrais céréales ( appartenant à la famille des Poacées) contiennent du gluten mais les prolamines du maïs (zéine), du millet (panicine),du sorgho (cafirine) et du riz( orzinine) ne semblent pas être responsable de réactions allergiques. Pour rappel, le sarrasin (Fagopyrum esculentum) de la famille botanique des Polygonacées et la quinoa ( Chenopodium quinoa) de la famille des Chenopodiacées ne sont pas des céréales et contiennent de faibles quantités de prolamines.

l’intolérance au gluten

appelée aussi maladie cœliaque est une maladie chronique de l’intestin dans laquelle l’ingestion de gluten aboutit à une réaction immunitaire anormale. Chez les personnes atteintes, les protéines du gluten sont incomplètement digérés et la perméabilité des muqueuses intestinales augmente . De ce fait , des fragments protéiques peuvent passer au travers des jonctions serrées et provoquer une réaction immunitaire qui déclenche la production d’anticorps IgA dirigé notamment contre les gliadines . Cette réaction immunitaire anormale est à l’origined’ une réaction inflammatoire qui endommage progressivement les villosités intestinales et aboutit à des phénomènes de malnutrition. La maladie est réversible à l’arrêt de la consommation de gluten ce qui montre que la maladie cœliaque n’est pas vraiment une maladie auto-immune même si elle peut prédisposer ou s’associer à de vraies maladies auto-immunes.

La sensibilité au gluten

ou Gluten Sensitivity ,est une pathologie dans laquelle l’ingestion de gluten provoque des symptômes très proches de ceux de l’intolérance au gluten (douleurs abdominales, brûlures épigastriques, ballonnements, constipation ou diarrhées, fatigue chronique, maux de tête, lipothymie, aphtes chroniques…) mais par des mécanismes immunologiques différents puis qu’aucun des marqueurs de la maladie cœliaque (anticorps anti-transglutaminase et anticorps anti-gliadine) ne sont retrouvés. Certains auteurs critiquent l’existence même de la sensibilité au gluten puisqu’il est impossible de la diagnostiquer autrement que sur la base d’un tableau clinique. Des recherches récentes ont mis en évidence que certains récepteurs dit « toll-like » de l’immunité innée seraient surexprimés dans la sensibilité au gluten. Cependant cette réaction inflammatoire pourrait être activée par d’autres déclencheurs que le gluten comme les inhibiteurs d’alpha-amylase et les inhibiteurs de trypsine que l’on trouve couramment dans les céréales.

Les gliadines : des allergènes depuis toujours?

Pour se protéger contre les prédateurs comme les insectes et assurer leur survie , les plantes et en particulier les céréales et les légumineuses qui sont riches en calories ont développé des stratégies d’adaptation qui visent à perturber la digestion et l’appareil digestif de celui qui les consomme. Parmi ces substances agressives, on trouve les prolamines , les inhibiteurs de trypsine ( une enzyme qui permet la digestion des protéines), les inhibiteurs d’alpha-amylase ( une enzyme qui permet de digérer les glucides)et les lectines ou agglutinines qui peuvent causer la dégradation des cellules de la barrière intestinale.

Pendant plus de 99% de leur existence, le problème ne s’est pas posé pour les chasseurs cueilleurs du paléolithique qui ne consommaient pas de céréales. Par contre les hommes du Néolithique qui se sont mis à cultiver des céréales depuis environ 5000 ans ( une période très récente à l’aune de l’histoire humaine préhistorique) ont du s’adapter tant bien que mal à ce changement alimentaire. Certains auteurs affirment même que nous n’avons pas vraiment « digéré » cette révolution à la fois alimentaire et culturelle. En définitive, il est probable que les gliadines du gluten ont toujours posé des problèmes mais il est difficile d’affirmer qu’elles puissent être la cause unique du développement des pathologies à caractère inflammatoire qui apparaissent dès le Néolithique et se développent avec la culture massive d’un blé plus riche en gluten (blé amidonnier : Triticum dicoccum) au cours de l’Antiquité.

Pour rappel, la digestion est un processus extrêmement complexe qui est largement conditionné par la communauté bactérienne qui vit en symbiose avec les humains. Au fil de l’évolution, ce microbiote a participé au maintien de la santé de l’organisme en régulant de manière permanente le fonctionnement de notre système immunitaire. Grâce à cet apprentissage incessant, nous avons appris à tolérer certains motifs antigéniques plus « agressifs » que d’autres comme les gliadines, aidés en cela par l’aspect vivant des aliments consommés au moins jusqu’à récemment qui contiennent des probiotiques, des enzymes et des vitamines. Il est probable que la multiplication de facteurs de stress comme l’exposition répétée à des protéines modifiées structurellement ou la consommation excessive d’acides gras trans technologiques favorisant l‘inflammation chronique soit à l’origine d’une » rupture de contrat » conduisant à la perte de l’équilibre immunitaire. Ainsi, lorsque cet équilibre alimentaire, fruit de millions d’années d’évolution, s’altère ,l’agressivité de certains antigènes peut alors s’exprimer sans contrôle, la dysbiose intestinale s’installe ce qui pourrait expliquer la prévalence actuelle des allergies alimentaires et le déclenchement des maladies inflammatoires chroniques intestinales.

Les protéines des variétés anciennes sont elles différentes de celles des blés actuels?

Les espèces primitives de céréales comme l’engrain sauvage (Triticum monococcum) ont permis à l’homme de faire des galettes mais pas un pain véritable car elles contenaient peu de gluten. Par contre, leur teneur totale en protéines pouvait dépasser 14% . Les blés antiques contenaient davantage de protéines hydrosolubles ce qui contribuaient à leur qualité nutritionnelle . Autrement dit, les protéines des blés anciens n’ont que peu de valeur technologique (aptitude à la panification) mais sont remarquables par l’équilibre de leur composition en acides aminés essentiels.

Au cours des siècles , les hommes vont s’appliquer à faire des croisements et retenir les variétés de blé plus riches en gluten qui élèvent la valeur boulangère. Aujourd’hui, les efforts des sélectionneurs se sont principalement concentrés sur la qualité technologique des blés. La force boulangère (W) liée à la viscoélasticité des farines ( capacité d’une farine à bien lever et à se travailler facilement) a considérablement augmenté au cours des vingt dernières années tandis que le niveau global des protéines est resté plus ou moins identique. La sélection de variétés à grande teneur en protéines à haut poids moléculaires et insolubles a permis le développement du commerce des viennoiseries que l’on peut rencontrer dans tous les centre-ville, les gares ou les galeries marchandes.

Une association de malfaiteurs plutôt qu’un tireur isolé !

la fréquence élevée des intolérances à certaines protéines alimentaires comme les protéines de lait de vache et les gliadines du gluten ne s’explique pas par une cause unique mais est sans doute multifactorielle. Plusieurs explications sont proposées et méritent d’être étudiées, elles sont fondées sur la réflexion de base suivante: une réponse inappropriée vis à vis des protéines alimentaires due à une rupture des mécanismes immunomodulateurs pourrait être à l’origine des phénomènes d’hypersensibilité alimentaire et des pathologies inflammatoires chroniques de l’intestin.

-Certaines protéines du gluten comme les gliadines pourraient stimuler l’expression d’une protéine présente dans la bordure en brosse des entérocytes : la zonuline . Cette protéine provoque l’ouverture des jonctions serrées qui soudent normalement les entérocytes de la barrière intestinale et favorise l’hyperperméabilité intestinale. Lorsque la perméabilité de l’intestin est augmentée , une trop forte concentration d’allergènes alimentaires issus de protéines incomplètement digérées entre dans l’organisme et peut causer l’emballement et le dévoiement des mécanismes immunologiques.

-D’autre part, la lyse incomplète des peptides alimentaires aboutit à la formation de peptides opioïdes c’est à dire capables de se fixer sur les récepteurs cellulaires aux opiacés. Ils peuvent se comporter comme des dérivés morphiniques capables de franchir la barrière hémato-méningée et perturber le fonctionnement du système nerveux central . Plusieurs équipes de chercheurs ont souligné que les peptides opioïdes du gluten comme les gliadorphines ou gliadinomorphines pourraient jouer un rôle dans l’étiologie de l’autisme et de la schizophrénie.

-les métaux lourds (plomb, cadmium,mercure) qui s’accumulent dans l’organisme ont une action inhibitrice sur une classe d’enzymes nécessaires à la digestion des protéines : les peptidases. Des études ont montré qu’une déficience en dipeptidase de type IV au niveau des muqueuses intestinales pouvait affecter la lyse des gliadines du gluten et favoriserait la libération de peptides opioïdes. Le mercure en particulier est particulièrement toxique, il inhibe la dipeptidyl peptidase IV , une enzyme qui normalement assure la dégradation des gliadinomorphines.

– la sélection génétique par mutagénèse peut engendrer des modifications sur la structure tridimensionnelle des protéines de céréales qui pourraient affecter les mécanismes de reconnaissance et de tolérance immunitaire. Au total ce serait moins la quantité de gluten absorbée que la modification structurale des protéines du gluten qui serait en cause dans les problèmes d’hypersensibilité observés actuellement.

Faut il évincer totalement le gluten de notre alimentation?

Ce qui vaut pour le gluten est également vrai pour les caséines du lait : c’est davantage votre réaction individuelle à l’aliment que l’aliment lui-même qui pose problème. En fonction de l’état initial de l’écosystème bactérien, de votre système immunitaire ou de votre état général , votre tolérance à certaines protéines alimentaires est plus ou moins grande . Pas plus que le cholestérol, le gluten ne doit pas être diabolisé ou jouer le rôle de bouc émissaire. L’engouement actuel pour le régime sans gluten pourrait laisser croire au consommateur que manger sans gluten va forcément de pair avec une alimentation saine tout comme le fait de manger des produits allégés en cholestérol ou des produits « light ». Si l’éviction du gluten est justifiée chez les personnes souffrantes de maladie cœliaque , les mécanismes physiopathologiques de la sensibilité au gluten non cœliaque ne sont pas suffisamment connues pour affirmer que le gluten est le seul « coupable ».

La médiatisation excessive du « sans gluten » peut avoir des conséquences négatives:

– Selon certains spécialistes en gastroentérologie, les personnes qui s’auto proclament intolérantes au gluten sans diagnostic officiel pourraient masquer les symptômes d’un problème gastro-intestinal plus sévère comme une maladie inflammatoire chronique des muqueuses digestives.

– le marché des produits alimentaires sans gluten est en pleine expansion. Ces produits souvent bien plus onéreux n’ont pas obligatoirement une bonne valeur nutritive en terme de vitamines, de minéraux ou d’index glycémique. D’autre part, ce markéting a pour effet de détourner l’attention du public des véritables problèmes liés aux pratiques de l’agriculture intensive et aux techniques de transformation industrielles alimentaires. Ainsi, il serait plus pertinent de mieux étudier les conséquences de la présence de protéines à haut poids moléculaire dans les blés modernes ainsi que les effets de certaines techniques de pétrissage sur la digestibilité pancréatique du gluten. Plutôt que d’entretenir la « phobie » du gluten, ne serait il pas plus logique de revoir les critères de sélection des variétés de blé et le bienfondé de certaines techniques de panification au levain naturel . Plusieurs études ont confirmé que la dégradation des protéines du blé par certaines bactéries lactiques présentes dans le levain avait un effet favorable sur sa digestibilité du pain chez des personnes déclarées comme sensibles au gluten.

En guise de conclusion

Certaines protéines de gluten et du lait de vache ont été identifiées comme pouvant être à l’origine de réactions de type inflammatoire et peuvent justifier une orientation nutritionnelle visant à réduire ou à supprimer certains aliments et en tout premier lieu certains produits industriels hautement transformés. Néanmoins, cette éviction n’a de sens que si elle est associée à une stratégie de santé dont les objectifs doivent être :

– la préservation de l’intégrité de la muqueuse intestinale

– l’équilibre du microbiote intestinal

– la préservation de l’équilibre immunitaire entre défense et tolérance orale.

De nombreux facteurs peuvent être à l’origine d’une perte de l’équilibre intestinal et peuvent modifier le seuil de tolérance d’une protéine alimentaire à partir duquel des réactions immunitaires et inflammatoires peuvent se déclencher . Certains de ces facteurs comme la prédisposition génétique , l’âge du premier contact avec l’antigène alimentaire ou la fréquence d’ingestion sont assez bien connus; mais d’autres facteurs comme les liens entre la biodiversité du microbiote et l’intégrité de la muqueuse intestinale mériteraient d’être plus largement soulignés.

L’adoption d’habitudes alimentaires basées sur la présence majoritaire d’aliments frais et vivants , l’apport suffisant de nutriments anti-oxydants (fruits, légumes ,épices) et d’acides gras de type oméga 3 , la pratique d’une activité physique modérée mais quotidienne et une meilleure gestion du stress chronique participent au maintien d’un état de santé optimal.

Gilles Corjon

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