Vivre au présent (1ère partie)

Copie de photos montagne oct 2014 075Photo Bernard Burlet – Vivre l’instant présent, n’est-ce pas une question fondamentale pour l’homme et la femme stressés d’aujourd’hui ?
Pour beaucoup, cela semble résoudre comme par enchantement tous les problèmes existentiels que nous nous posons tous.
A voir le succès de certains « séminaires », de livres comme « le pouvoir du moment présent » d’Ekhart Tolle, on est en droit de se demander pourquoi on y avait pas pensé plus tôt.
Actuellement, de nombreux « initiateurs » aux vertus de l’éveil au moment présent en font « leur fond de commerce ». Pour eux, présentement, cela rapporte….

On peut chercher en Orient le sens « du moment présent », trouver un maître zen, suivre une pratique régulière du Védanta, du bouddhisme Tibétain et cependant ne jamais trouver la paix dans ce précieux moment qui passe.
Nombreux sont celles et ceux qui allant de cours de yoga en stage de « reconnexion » n’ont toujours pas trouvé du sens à leur existence….
La psychologie actuelle quant à elle, adopte majoritairement un point de vue montrant l’homme prisonnier de son passé tentant de s’en libérer au prix de thérapies longues et souvent coûteuses. Se plonger dans un passé de plus en plus lointain tel est l’objectif pour y trouver les causes de malaises très actuels.
Ce voyage dans le passé tel que le présente la psychanalyse est un regard en arrière qui se donne pour mission de trouver les liens entravant la personnalité d’aujourd’hui et, de les délier.
Ce regard en arrière doit être libérateur. L’est-il vraiment ?

La pratique du moment présent

A lire attentivement Ekhart Tolle, il suffit d’arrêter de penser, de ne plus « s’accrocher au mental » pour qu’enfin il y ai l’irruption de ce fameux « moment présent ».
En ce domaine, la théorie semble facile, mais l’application pratique l’est beaucoup moins. Le fait même de « vouloir » arrêter de penser créé la pensée de vouloir le faire…
Pour la plupart d’entre nous cette pratique tourne à l’obsession, celle de vouloir « obtenir » l’acquisition de cet unique moment présent qui semble toujours se dérober.

Docteur Roger Vittoz : celui qui donne la clef

La réponse à la question comment se connecter « au moment présent » ne se trouve pas forcément dans les écrits édifiants d’Ekhart Tolle mais dans la pratique d’un médecin suisse du début du siècle dernier il s’agit du docteur Roger Vittoz

Roger Vittoz qui étiez-vous ?

Ce médecin suisse étudia la médecine à Lausanne, Neuchâtel et Genève et dirigea avec succès une clinique privée qui le mit au contact de nombreux patients qu’on nommait à cette époque « neurasthéniques ».

Vittoz voulait apprendre au patient « l’art de se guérir soi-même » en renforçant les ressources de son moi conscient. Pour Vittoz, les choses sont simples : la plupart des « nerveux » sont dans un état de non contrôle mental. Cet état de vagabondage mental qui s’interpose entre eux et la réalité les fait vivre dans un monde « virtuel », dans un état d’angoisse et de malaises tant physiques que mentaux.

Globalement, pour Vittoz, le cerveau a deux fonctions :

*celle de recevoir par les organes des sens : vue, ouïe, goût, odorât, sens coenesthésique.

* celle d’émettre par le cerveau et les pensées. Le trouble qui nous affecte tous plus ou moins c’est le fait d’être continuellement dans les pensées, rarement dans les organes des sens et, ça engendre toujours un tourbillon mental, responsable de confusions.

Renforcer la réceptivité : première étape du travail sur le moment présent

« La réceptivité c’est tout ! » Cette phrase de Roger Vittoz montre à quel point il est important pour le cerveau de se mettre en état de « recevoir ». Mais, c’est peut être là que réside toute la difficulté. Il faut que le cerveau soit dans la sensation et non dans la pensée.

La difficulté même de l’exercice de réceptivité repose sur le fait que par exemple : on regarde mais on ne voit pas, on écoute mais on n’entend pas.

Un disciple de Vittoz témoigne :
« il y a plusieurs années, j’ai enseigné la méthode à une petite fille de cinq ans et demi et à sa sœur plus âgée d’un an. Ces enfants avaient parfaitement compris, par exemple, la différence entre « voir » et « regarder » ce que nous pouvons traduire : voir sans penser et voir en pensant. Au fond du pré, où nous nous mettions de préférence pour travailler « la méthode », se trouve la statue de Notre Dame de la Garde. Elles savaient très bien que « voir » c’est ouvrir les yeux, voir la Vierge sans être occupé par aucune pensée, même pas celle de la Vierge, ce qui, au point de vue de la « méthode », reviendrait au même que de penser à autre chose, que c’est prendre conscience de sa masse, de sa couleur, de ses formes, de son relief. »

Etre présent ici et maintenant par la conscience de nos actes. Etre présent à ce que nous faisons avec une conscience exacte qui empêche toute distraction. Il s’agit de sentir l’acte et non de le penser car la pensée est émissive alors que la sensation est pure réceptivité.

En prenant la saine habitude de bien voir ce que nous regardons (par exemple, ce beau paysage de montagne en tête de l’article), de bien entendre ce que nous écoutons, de bien sentir ce que nous faisons, nous recouvrons notre calme, car l’expérience de la réceptivité par la posture d’accueil qu’elle implique procure la détente.

La petite voix qui fait les commentaires dans la tête

Il y a en chaque personne une instance qui fait toujours des commentaires :

« Cette impression est bonne, celle-ci est mauvaise ». La réceptivité nous semble « bonne » dans la mesure où nous en tirons une satisfaction, mauvaise si c’est le contraire…. Cependant, dans cet acte, il doit y avoir pure neutralité : la vue, l’odeur, le bruit viennent à la conscience dans une parfaite neutralité… Cela n’est ni bon, ni mauvais, c’est simplement là.

Si on s’applique à simplement voir, entendre, goûter, sentir et même toucher sans penser, il n’y a ni joie ni insatisfaction. Il y a repos immédiat avec pour conséquence un apport de force vitale parce qu’il y a un accroissement du contrôle cérébral.

« Voir comme un enfant qui s’éveille » telle est la fonction de la réceptivité.

Contrairement à ce que l’on pense, la réceptivité est l’acte le plus difficile qui soit pour un intellectuel, un homme, une femme de notre société actuelle.
Ainsi, le matin, on ouvre son poste de télévision et on s’abreuve d’informations comme si elles avaient toutes une importance réelle.
En voiture on écoute encore la radio, puis on se cale sur son écran internet (ordinateur ou tablette), ou bien on se rive sur son téléphone portable comme s’il détenait une info (texto) d’une importance primordiale…. La journée se passe ainsi et, comme le dit un chanteur, « on vit sa vie par procuration devant son poste de télévision ou le clavier de son « ordi ».

La réceptivité ne procure aucune émotion particulière, si ce n’est cette certitude que l’on est calé là dans ce qui se passe maintenant. On reçoit, on laisse venir les choses sans leur faire obstacle.
Le bien-être qui découle de cette réceptivité n’a pas d’opposé. On ne cherche pas une satisfaction « positive » pour s’éloigner « d’un négatif », on se sent là dans une plénitude sensorielle.

La réceptivité n’est pas « une recherche de bien être » c’est un retour à notre qualité d’être au monde avant que ne viennent se greffer toutes nos pensées…

La pratique de la réceptivité consciente

La rééducation de la réceptivité consiste donc à faire des actes de sensation, à se mettre tout entier dans ce que l’on sent. Si pour sentir avec la main, on se contente de toucher, très vite la sensation s’atténue et disparait ; il faut la renouveler par un autre mouvement de main.

Exercices pratiques

Vous exercez successivement tous vos sens en vous efforçant de ne pas penser, de ne pas faire d’interprétation intellectuelle, mais vous devez atteindre un état de sensation pure.

Concentrez-vous sur le contact de votre main avec le tissu du fauteuil, puis celui de votre vêtement. Sentez tout particulièrement le lisse ou le rugueux, le froid ou le chaud, le contact du dos ou des fessiers, des pieds sur le sol. Vous ne faites qu’un avec la sensation ; ici plus de vagabondage mental ! Il n’y a plus dans votre cerveau que les contacts de votre main. Dans ces actes extrêmement simples, vous vous sentez paisible et détendu. Vous faites corps avec votre main, vous n’êtes qu’une main heureuse de toucher, de caresser l’objet. Ainsi, vous recommencez avec tous les sens.

Recueillez tous les sons auxquels vous ne prêtiez pas attention. Ecoutez le silence qui lui n’est jamais total, c’est faire silence en soi pour accueillir les sons : un chant d’oiseau, le tic tac d’une pendule, le bruit de votre respiration….
En fait, quoi de plus énervant que le bruit régulier d’une goutte d’eau qui tombe. Pas moyen de dormir, parce que vous le subissez dans l’énervement. Maintenant, accueillez ce son avec sympathie, écoutez le, laissez lui prendre toute la place, si bien qu’insensiblement cette monotonie vous endormira.

Ecouter une chanson pour la voix au lieu de n’enregistrer que les paroles. Les yeux fermés, goûtez la vraie saveur d’un bon vin, d’un fruit. Prenez quelques flacons d’huiles essentielles sans leur bouchon et respirez alternativement chacun, tout en qualifiant leur « essence ».

Ouvrez les yeux et regardez une rose, un arbre ; il n’y a que du rose, il n’y a que du vert. Quel calme et quelle paix !

Votre présence au monde se fera plus complète si vous écoutez et sentez en même temps tout ce qui vous entoure : contact de l’eau, l’odeur du savon pendant la toilette.
Dans la nature, touchez la terre, palpez les cailloux, caressez la rugosité des écorces des arbres, sentez le vent sur votre visage, la pluie, le soleil.
Par ces actes simples de sensation, vous reprenez contact avec votre corps.

Amusez-vous à détendre puis à contracter en souplesse tous vos muscles, à sentir le calme que procure la détente, à généraliser celle-ci en profitant de la pesanteur, à l’accentuer en la constatant physiquement.
Vous vous sentirez calme et détendu et votre sensation sera en fait votre réalité.

Si vous songez à ce qu’il faut faire pour marcher, descendre un escalier, vous risquez fort de tomber, car vous y pensez intellectuellement. Tout au contraire, si vous sentez votre marche, l’observez ; vous vous y insérez sans penser, elle ne sera que pure sensation agréable.

De tous les actes quotidiens, le plus efficace en matière de rééducation, c’est la respiration. Sentez vous respirer et associez ce souffle à l’épuration de votre corps, liant l’expiration à une vraie détente générale. Sentez la contraction des muscles respiratoires et entraînez-vous à la respiration calme par l’abdomen qui se gonfle à l’inspiration. Cet acte détend, à l’inverse de la respiration thoracique crispée de l’effort énervé. Baissez les épaules, relâchez le ventre et ressentez votre centre de gravité légèrement au dessous du nombril.

L’exercice de réceptivité Vittoz, ce n’est ni aller lentement, ni aller vite, c’est agir consciemment donc agir bien. C’est le contraire de l’activité bâclée de l’énervé toujours stressé, le contraire de la lenteur distraite du paresseux. Les gestes du quotidien servent de maîtrise quand on les exécute de façon différée : vous avez un objet à prendre de l’autre côté de la pièce, alors vous vous précipitez comme un fou, et bien non ! Comptez plutôt mentalement avec calme jusqu’à cinq et, dès ce moment, dans une marche consciente et un geste sûr, allez prendre l’objet. Cet acte anodin vous permet de ne pas être esclave de vos impulsions…. Il ne peut y avoir un contrôle du mental émissif sans cette base réceptive indispensable. L’intérêt de cette méthode Vittoz, c’est la simplicité même des exercices, ce qui ne veut nullement dire qu’ils soient faciles à exécuter.

Après avoir réappris à sentir, il faut réapprendre à penser, à être maître de son esprit vagabond. C’est ce dont nous parlerons dans une seconde partie….

Roland Reymondier

A lire: Vivre au présent (2ème partie)