Les anti-nutriments ou la face cachée des aliments d’origine végétale

Gilles Corjon – Les végétaux ont constitué l’essentiel de l’alimentation de l’espèce humaine tout au long de son évolution et il semble logique que nous nous intéressions de plus en plus à leurs vertus à l’heure où la surconsommation d’aliments transformés joue un rôle prédominant dans le développement de plusieurs maladies chroniques. Cependant, les propos parfois dithyrambiques tenus par nombre de médias sur les mille et

une vertus des fruits , des légumes ou des céréales ne devraient pas éclipser que certains de ces aliments ont des côtés préjudiciables surtout lorsqu’ils sont consommés sans préparation culinaire ou en trop forte quantité.

A la découverte des anti-nutriments

Si vous pensiez que les végétaux que nous consommons, parce qu’ils sont naturels et de surcroit bio, sont forcément bons , il est temps de lire avec attention cet article pour vous faire une opinion peut-être plus nuancée.

Pour comprendre ce qui va suivre il est également souhaitable de se détacher de certaines croyances et d’idées reçues que nous projetons sur le monde naturel . Ainsi, on trouvera encore des personnes qui pensent que les animaux et les plantes sont « faits » pour être mangés. Selon la doctrine de la Providence, Bernardin de St Pierre , écrivain et botaniste du XVIIIème siècle , exprime au mieux la théorie du finalisme anthropocentrique en énonçant que « les melons sont divisés par côtes pour être mangés en famille »!

Nous savons aujourd’hui que l’apparition des êtres vivants et leur répartition en espèces ne répond à aucun dessein particulier . Ainsi, nous consommons actuellement une grande variété de choux cultivés mais tous sont issus de choux sauvages qui poussent encore sur les falaises littorales de l’Europe et qui ,sans doute, ont dû retenir l’attention de nos ancêtres de la préhistoire. N’oublions pas qu’il a fallu beaucoup d’expertise dans la cueillette des végétaux puis dans la domestication de certaines espèces pour permettre aux hommes d’élaborer un régime alimentaire de qualité.

Tout comme les animaux sauvages, les plantes sont des êtres vivants qui mettent au point des stratégies défensives pour tenter de limiter les attaques de prédateurs . Voilà pourquoi elles n’existent pas pour être de la nourriture mais comme toute espèce vivante, elles doivent survivre suffisamment longtemps pour transmettre leurs gènes et perpétuer l’espèce. Parmi ces stratégies et pour certains végétaux, l’une consiste à rendre ses fruits comestibles pour augmenter les chances de disperser les graines et donc la pérennité de l’espèce. Mais là encore il faut être vigilant sur notre façon d’énoncer les faits: une plante ne crée pas des baies de couleur rouge pour mieux attirer les oiseaux ou des cueilleurs gourmands ; il faut plutôt dire que les baies à forte concentration en pigments rouges ont été retenues sélectivement car cette couleur augmente le pouvoir attractif et donc les capacités de ce végétal à survivre.

Les végétaux fabriquent une très grande variété de composés chimiques comme les acides phénols , les flavonoïdes, les terpénoïdes , les alcaloïdes ou les glucosinolates qui sont des composés dits allélopathiques . Ces substances naturelles jouent un rôle majeur dans les stratégies d’adaptation car ils permettent aux plantes de mieux assurer leur accès aux ressources nutritives et leurs défenses contre les prédateurs.

Pour exemple ,citons le falcarinol ou carotatoxine , un composé de la classe des polyines que l’on trouve dans plusieurs plantes de la famille des Apiacées ( Ombellifères) . Le falcarinol est une substance toxique qui protège les racines de carotte contre les maladies fongiques. Rassurez vous , vous pouvez continuer à manger des carottes car ce composé n’est présent qu’à des concentrations très faibles. Des recherches conduites sur des modèles animaux suggèrent que le falcarinol pourrait même exercer un effet protecteur contre plusieurs types de cancers. Ainsi, on peut considérer que pour les humains , le falcarinol est plutôt un phytonutriment au rôle bénéfique.

Si les aliments contiennent des nutriments , c’est à dire des substances qui nourrissent ou protègent l’organisme , ils peuvent également contenir des quantités variables d’anti-nutriments qui ne sont pas digestibles . Parmi ceux-ci se trouvent des substances plus ou moins nocives qui peuvent entraver l’assimilation des nutriments utiles ou même posséder des effets toxiques lorsqu’ils sont ingérés en trop forte quantité.

Ces anti-nutriments sont généralement présents dans les graines de céréales ou de Légumineuses, dans les racines et les feuilles de certaines plantes. Ces substances diminuent fortement la digestibilité de ces plantes et permettent d’éviter une trop forte pression des prédateurs qui les mangent . Cependant, un grand nombre d’espèces animales ont développé différents systèmes pour neutraliser ou éliminer ces composés et sont capables de manger ces plantes. Chez les êtres humains qui sont omnivores, ce processus semble plus complexe.

Des phénomènes de tolérance alimentaire existent et se sont constitués au fil des époques . La digestion est un processus extrêmement complexe qui résulte d’un apprentissage antigénique permanent . Les gliadines du gluten (voir notre article gluten or not gluten) sont un bon exemple de tolérance à des antigènes agressifs qui reste fragile et peut être remise en question. Mais pour beaucoup d’autres anti-nutriments tels que les lectines ou les inhibiteurs de protéases, il faut que les aliments concernés soient transformés avant d’être consommés pour réduire leur teneur en anti-nutriments.

Ainsi, contrairement à certaines opinions, l’homme n’est pas adapté par nature à consommer certains végétaux en état. Les légumes secs, les céréales et les pseudo-céréales ne sont pas directement comestibles dans leur état naturel et n’ont pas été consommés depuis la nuit des temps. Seule l’acquisition de techniques de transformation culinaire a permis à l’homme de manger certains aliments.

Les principaux anti-nutriments

  • Les lectines:

– Ce sont des glycoprotéines largement distribués dans le monde végétal. Les aliments qui en contiennent le plus sont les graines de légumineuses comme les lentilles, les fèves, les pois , les haricots et le soja, les céréales et les pseudo-céréales ( quinoa,, sarrasin) ainsi que les plantes de la famille des Solanacées ( tomate, aubergines, poivrons, pommes de terre). Les lectines ont la capacité de se fixer à des motifs glucidiques présents sur nos cellules et peuvent en perturber le fonctionnement. Ainsi l’agglutinine du germe de blé (WGA Wheat Germ Agglutinin ) interagit avec la N-acétylglucosamine , un motif de base des protéoglycanes que l’on trouve dans les parois cellulaires des champignons, des bactéries et dans les cuticules externes des insectes formée de chitine ( la chitine est issue de la polymérisation de la N-acétylglucosamine).

La WGA est donc une réponse adaptative ingénieuse qui permet au plant de blé de se prémunir contre les attaques de prédateurs. On peut considérer que cette glycoprotéine défensive s’apparente aux mécanismes d’immunité innée que l’on trouve dans le monde animal.
Chez l’homme, les lectines ne peuvent pas être décomposées par nos enzymes digestifs et peuvent s’attacher à la surface des cellules épithéliales des villosités intestinales . La lectine du soja par exemple ( SBA soybean agglutinin) se fixe sur le glycocalyx des cellules en brosse des villosités intestinales parce que ce feutrage microfibrillaire est constitué en grande partie de N-acétylglucosamine. Une exposition répétée au SBA endommage la muqueuse intestinale et par conséquent les capacités d’absorption intestinale. A long terme , cette lectine peut créer des conditions favorables à l’installation d’une inflammation chronique à l’origine d’allergies et d’affections auto-immunes. Par ailleurs, les lectines réduisent l’activité des enzymes présentes au niveau des muqueuses de l’intestin grêle comme l’aminopeptidase ou l’entérokinase. Certains auteurs pensent également que les lectines pourraient favoriser les processus de résistance à l’insuline et à la leptine en perturbant les récepteurs cellulaires de ces hormones .

Cependant , toutes les lectines ne sont pas nocives et certaines d’entre elles possèdent même des propriétés biologiques favorables en inhibant par exemple la croissance des cellules cancéreuses et le développement de certains virus. Deuxième point et sans doute le plus important, plusieurs pratiques culinaires traditionnelles comme le trempage, la germination, la fermentation et la cuisson permettent de réduire fortement mais pas totalement le pouvoir agglutinant des lectines contenus dans les légumineuses , les céréales et les graines oléagineuses.

Ce n’est surement pas un hasard si les Asiatiques consomment préférentiellement des produits de soja fermentés car la fermentation permet de désactiver les lectines et de réduire les teneurs en acide phytique , un autre anti-nutriment dont nous allons parler.

Ce qu’il faut retenir : la plupart des légumineuses lorsqu’elles sont correctement préparées sont débarrassées d’une grande partie de leurs lectines (Seule l’agglutinine de la cacahuète est très résistance à la désactivation ). En ce qui concerne les céréales, outre les protéines du gluten comme les gliadines et les gluténines qui restent en partie réfractaire à l’hydrolyse lors de la germination, l’agglutinine du germe de blé ( WGA) est également très résistante à toute préparation alimentaire. Ce fait devrait nous inciter à davantage de vigilance sur la présence soit disant indispensable des produits céréaliers dans nos assiettes . Il y a plus de 45 ans , le médecin britannique John Yudkin déclarait:  » les céréales ne sont pas le socle de l’alimentation humaine mais plutôt un aliment nouveau pour l’homme apparu au néolithique »…
  • Les saponines:

  • D’un point de vue chimique, les saponines sont des hétérosides complexes dont la partie non osidique ( aglycone) est généralement de nature triterpénique ou stéroïdique. Toutes les plantes contiennent des saponines qui sont le plus souvent concentrés dans les organes de réserve comme les racines et les tubercules. Au niveau alimentaire, les plantes les plus riches en saponines appartiennent à la famille des Solanacées : tomate, aubergine, pomme de terre. On en trouve également chez les légumineuses ( petit pois, soja) et dans des plantes comme les épinards, les asperges, la châtaigne et la quinoa. les tomates vertes non encore à maturité renferment davantage de saponines que l’on peut considérer comme des bio-pesticides naturels destinés à défendre la plante contre les bactéries, les virus, les champignons ou les insectes.
  • Les saponines ont une action détergente et agissent en dissolvant les membranes des cellules des insectes ou des microbes.

Au quotidien si votre alimentation est suffisamment diversifiée , les saponines ne présentent pas de danger particulier . Seule une consommation excessive de légumineuses ou de pseudo céréales pourrait entraîner une détérioration progressive de la muqueuse intestinale favorisant l’apparition d’un Leaky Gut Syndrom.

  • On sait également que lorsque les saponines entrent dans la circulation sanguine, elles peuvent causer l’hémolyse des globules rouges et générer de l’inflammation .
  • D’un autre côté, les saponines ont des effets favorables . Comme elles ne sont pas assimilées, elles peuvent se fixer au cholestérol et aux sels biliaires ce qui a pour effet de réduire l’absorption intestinale du cholestérol. Certains chercheurs suggèrent qu’une partie des effets cardioprotecteurs du vin rouge pourrait être en rapport avec sa teneur en saponines.
  • Les saponines ont aussi un intérêt pharmacologique : en modifiant la perméabilité de l’intestin , elles pourraient aider à l’absorption de médicaments spécifiques.
Ce qu’il faut savoir : la cuisson n’élimine que très partiellement les saponines présentes dans les légumineuses . En revanche, les techniques de fermentation traditionnelle permettent d’abaisser significativement les teneurs en saponines présentes dans le soja. La quinoa est une pseudo céréale de la famille des Chénopodiacées dont les graines ont un revêtement riche en saponines mais comme elles sont en grande partie solubles dans l’eau, un simple rinçage suffit à éliminer les saponines au goût amer sans pour autant nuire à la qualité nutritionnelle des protéines du quinoa.
  • Les inhibiteurs enzymatiques

  • Chez les végétaux, les inhibiteurs d’enzymes jouent un rôle important en inhibant les systèmes enzymatiques des prédateurs et en permettant la conservation des graines et des noix . Les principaux inhibiteurs enzymatiques sont les anti-protéases, les anti-amylases, les anti-invertases et les anti-trypsines.
  • Les inhibiteurs enzymatiques peuvent nuire à notre digestion en entravant le travail de nos propres enzymes et en gênant l’absorption de nutriments utiles comme les vitamines et les minéraux. Les aliments les plus riches en inhibiteurs d’enzymes sont les légumineuses et les céréales mais les noix ,les tomates et les pommes de terre en contiennent également. Il faut savoir que les anti-trypsines peuvent accentuer la carence en acides aminés soufrés des légumineuses , favoriser un épuisement des fonctions exocrines du pancréas et provoquer des retards de croissance.
  • Dans le cadre d’une alimentation diversifiée , il n’est pas obligatoirement nécessaire de les éliminer totalement. Par contre chez les végétariens et les végétaliens , il est important de pratiquer le trempage des graines et de faire cuire les légumineuses. Environ 80% des inhibiteurs de protéases de la plupart des légumineuses sont détruites par la cuisson. Traditionnellement , il est conseillé de procéder à un trempage des lentilles pendant une nuit avant de les faire cuire ; ces opérations culinaires permettent d’éliminer plus de 90% des inhibiteurs de protéases et facilitent beaucoup leur digestion.
Ce qu’il faut savoir: les inhibiteurs de trypsine et de protéases présents dans le soja sont plus résistants à la cuisson , il faut donc pratiquer une longue cuisson ou ne consommer que des produits à base de soja fermentés.
  • Les phytates

  • L’acide phytique contenu dans les enveloppes des graines est une forme hexaphosphorylée de l’inositol. Il constitue environ 80% des réserves de phosphore pour les céréales et les légumineuses. En raison de ses charges négatives (ions phosphates), ce composé est capable de chélater des minéraux chargés positivement comme le calcium, le magnésium, le zinc , le fer et le cuivre. La plupart des complexes phytate-métal sont insolubles à un pH proche de la, neutralité et de ce fait bloquent la biodisponibilité de minéraux indispensables à l’organisme humain. Seuls, les ruminants et les oiseaux sont capables de digérer l’acide phytique en raison de la présence de bactéries dans leur système digestif qui élaborent des phytases, c’est à dire des enzymes capables de dégrader les phytates. Il est à noter également que l’acide phytique interagit avec des enzymes nécessaires à la digestion des protéines comme la trypsine et la pepsine.
  • En raison de leurs effets perturbateurs , les phytates sont souvent considérés comme les principaux anti-nutriments de l’alimentation de certaines populations qui consomment majoritairement des farines de mil, de sorgho ou de maïs. En effet, les phytates peuvent gravement affecter l’assimilation d’oligoéléments indispensables à la croissance comme le zinc ou celle du fer dont la déficience peut entraîner une fragilité du système immunitaire.
  • On pourrait penser que la solution la plus efficace à ce problème serait de consommer uniquement des graines émondées ou raffinées , c’est à dire privées de leurs enveloppes externes ( riz poli, pois cassé, amandes blanches, farine de blé blanche, pain blanc…) mais cette opération nous prive également des minéraux et oligo-éléments principalement contenus dans ces parties externes.

Comme pour les lectines, les techniques de préparation culinaire traditionnelles comme la germination, le trempage et la fermentation peuvent contribuer à augmenter la biodisponibilité du zinc, du fer, du calcium et du magnésium en réduisant les teneurs en phytates. Ces pratiques sont particulièrement importantes chez les personnes dont la base alimentaire ,par choix ou par obligation ,est principalement constituée de céréales, de légumineuses et de graines non raffinées. Contrairement à certaines affirmations, le trempage sera toujours insuffisant pour abaisser suffisamment les teneurs en phytates et devra être couplé avec d’autres traitements comme la germination et la fermentation.

Ce qu’il faut savoir : les phytases sont naturellement présentes dans les enveloppes des graines ainsi que dans les levures et sont « réveillées » par la germination ou la fermentation. C’est la raison pour laquelle il est préférable de consommer du pain complet réalisé avec du levain naturel ainsi que les formes fermentées du soja ( miso, tempeh). Par contre, les bactéries lactiques ( yaourt, choucroute) ne contiennent pas de phytases.

Par ailleurs, des recherches récentes viennent tempérer le caractère négatif des phytates et suggèrent que l’acide phytique pourrait exercer des effets protecteurs contre l’ostéoporose. D’autres travaux précisent que les phytates pourraient également prévenir les risques de formation de calculs urinaires, limiter les risques d’apparition du diabète ainsi que la survenue d’accidents cardiovasculaires.

En conclusion, nous pouvons affirmer que , sauf pour les fruits, la plupart des aliments d’origine végétale contiennent des composés antinutritionnels comme les lectines , les saponines, les inhibiteurs enzymatiques et les phytates mais également des oxalates, des salicylates ou des substances anti vitaminiques comme l’acide ascorbique oxydase.

Dans la majorité des cas et dans le cadre d’une alimentation diversifiée, ces composés ne sont pas présents en quantités suffisantes pour exercer des effets réellement délétères chez les humains.

N’oublions pas que les prédateurs principaux des végétaux ne sont pas des humains mais des animaux herbivores ou des insectes phytophages. Cependant, certains végétaux apparemment inoffensifs parviennent à réunir une synergie d’anti-nutriments ou des niveaux élevés de facteurs antinutritionnels ; c’est le cas d’aliments courants comme les légumineuses et les céréales qui ne doivent pas être consommées en état mais doivent être préparées par des techniques culinaires comme la cuisson, la germination ou la fermentation.

Peut-être avez vous compris , en lisant ces lignes, que la composition nutritionnelle d’un aliment ne nous renseigne guère sur la biodisponibilité réelle de ses nutriments. Ainsi , il est rarement fait état des anti-nutriments d’une plante dont on veut vanter à tout prix les vertus .

Contrairement là aussi à certaines opinions , il n’existe pas d’aliment idéal. Les phytonutriments et les anti-nutriments présentent à la fois des effets bénéfiques et préjudiciables pour la santé , tout est une question de doses...

Gilles Corjon   (janvier 2016)
Docteur en pharmacie, herboriste